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dimanche 4 avril 2010

Sisyphe Etait Un UFR

Il n’y a plus de femmes aux répètes en ce moment. Après tous ces mois de mixité, ça me déroute un peu. Lolo invitait du monde chez Alexandre, (mais pas nous), par conséquent le piano a été relégué dans un coin, abandonné, muet, dévolu à la tache subalterne de tablette sur laquelle poser nos verres et cendriers.
Par contre un revenant des âges anciens des UFR est venu nous honorer de sa présence. Je lui avais rappelé lors de l’anniversaire de Hub son poste de choriste honoraire et historique, l’un des fondateurs du premier carré (qui était en fait un pentagone). Je lui avais suggéré, à l’instar de ces réservistes qui accomplissent régulièrement des périodes, de venir se remettre à niveau pour la séance du mercredi. On ne sait jamais, tout peut arriver lui expliquai-je : une défection de dernière minute, une épidémie de gastro foudroyante, bref tout évènement indésirable qui pourrait nous amener à battre le rappel des troupes en un temps très court. Ca l’a séduit, lui qui attegnit à la force du poignet le grade émérite d'adjudant de réserve je crois dans ce corps d’élite, pépinière d’esprits novateurs et de talents hors du commun, synonyme de courage d’engagement et d’abnégation que l’ensemble des nations civilisées nous envient : la gendarmerie nationale.

Je fais d'ailleurs illico un bref distingo : Il ne faut pas confondre l'adjudant de réserve avec l'adjuvent de synthèse bien qu'en fait la différence soit minime. l'un et l'autre sont des excipients, des trucs qu'on rajoute dans le produit pour en améliorer l'effet, l'un et l'autre apportent le plus souvent de la coloration (le langage de l'adjudant est très coloré, tous les appelés peuvent en témoigner) ou de la texture (l'adjudant dispose dans son vocabulaire de pas loin de trois cents mots tirés le plus souvent de l'excellent texte du manuel militaire). Un point commun surtout : utilisés en grande quantité, ils peuvent devenir très toxiques.

Contre la promesse que nous ne fumerions pas à l’intérieur de la SJM, il avait promis de « venir faire un tour ». Vous savez ce qu’il en est des promesses faites sous le coup de l’émotion suscitée par la chaleur du moment et l’imprégnation alcoolique : Je pensais que tout cela s’évaporerait avec les brumes matinales et la gueule de bois du lendemain, mais j’ai du faire mon mea culpa : Il a tenu parole. En revanche, et c’est un mauvais point qu’il faut souligner, il s’est juste présenté avec sa bonne mine de choriste, sans micro, sans câble, sans livret de chant, sans même une bouteille de quelque chose pour nous remercier de bien vouloir l’accueillir dans le Saint des Saints, la Mecque, le Taj Mahal, le Temple du rock-pop nîmois. Cela signait à mon sens un manque évident de motivation et augurait une attitude désinvolte, d’autant qu’à l’étage Barcelone et je ne sais plus trop quelle équipe s’étrillaient dans une quelconque compétition de foot européenne et que notre Baou entrecoupait ses efforts vocaux de fréquents déplacements au grès des vociférations des supporters.

Mais avant de parler de la séance elle-même, et comme j’ai l’esprit de l’escalier, voici un résumé de la conversation que j’ai eue avec Antoine Sarkis, l’homme orchestre chrétien qui était venu une fois ou deux écouter et même participer à nos répètes, et nous faire part de ses observations. On sait son expertise en matière musicale. Comme Pierrot, c’est un vrai musicien, capable de tirer quelque chose de n’importe quel instrument, du moment qu’on les laisse seuls une ou deux minutes afin de faire connaissance. C’est aussi quelqu’un qui est, comme moi, très intéressé par la sociologie des groupes, à la différence que lui est naturellement enclin à faire en sorte que le lien demeure optimal parmi les gens, dans le style tous unis dans un monde meilleur, tandis que je me pose plutôt en observateur curieux quoique parfois un peu bougon.

Malgré ses dispositions foncièrement altruistes, il m’a avoué que l’épreuve du studio même au sein d’un groupe qui prône l’amour de son prochain (ou de celui d’après), avait été dure et non sans conséquences. Il y avait eu des dissensions, des remises en question, des ruptures, des départs. Le niveau d’exigence demandé, quelque soit l’expertise du musicien, embrasse un champ beaucoup plus large que celui de la simple pratique musicale. Même si l’on n’est pas enclin à la prise de tête, il y a une obligation de résultat dans un contexte d’investissement personnel fort. Cela amène à des remises en question de la pratique de chacun, ce qui ne se fait pas sans dégâts, puisque cela touche à l’aspect artistique, et donc à l’intime conviction personnelle en la matière.

En d’autres termes on est amené à changer certaines choses que l’on pensait acquises, par choix personnel, mais surtout sous la pression des autres. Ce processus est déstabilisant car cela interroge en chacun le sentiment de sa légitimité au sein du groupe dans la fonction qui lui a été assignée. Antoine m’a décrit la montagne de précautions qu’il faut escalader afin de ne blesser personne, mais aussi les chocs frontaux des individualités, souvent bénéfiques, parfois catastrophiques, pouvant aller jusqu’au départ de certains, voire à la dislocation du groupe.

Cela se passe très souvent en studio car la dimension ludique y est très réduite. Le plus souvent, il y a une date butoir, des impératifs économiques ou des contraintes organisationnelles fortes. On se concentre sur le travail à faire, il y a du stress, des attentes, des moments de doute, des résultats qui semblent médiocres, ou en deçà de la production habituelle. Croit-on.

Antoine a souligné combien c’était un leurre. En répète ou sur scène, c’est le plaisir qui prime, qui gomme toutes les imperfections. Celles-ci sont impitoyablement restituées et amplifiées par le studio, d’autant qu’on peut analyser à l’infini telle ou telle prise et déceler les bugs, ou tout simplement les choix d’interprétation qui ne conviennent pas. Dans le feu du live, on est dans un sentiment d’urgence euphorique, du style « ça passe ou ça casse », on est porté dans le meilleur des cas par l’intérêt du public ; dans le cas contraire on fait le dos rond, on accélère le tempo pour que ça se termine le plus vite possible. Tous embarqués sur le même navire, les membres du groupe sont à la manœuvre pour l’amener à bon port, et tant pis si parfois on passe sur des hauts fonds et racle un peu la coque, l’important c’est qu’au final la foule soit rassemblée sur le quai pour saluer les hardis terre-neuvas qui ont arrondis les caps et salués les grains, subis quelques avaries mineures, mais reviennent les cales pleines. Mais, succès ou échec ce sont ceux du groupe. En studio on se retrouve seul face à son interprétation, face au regard critique des autres.

Selon Antoine on n’échappe pas à cette fatalité, il faut l’accepter et quoi qu’il arrive conserver le lien entre les membres de l’orchestre, et faire sien cet adage selon lequel ce qui ne nous détruit pas nous rend plus fort. En définitive, il en va du groupe comme du couple : Association de circonstance, contractuelle (que le contrat soit légal ou moral) qui ne perdure que par la volonté des contractants, laquelle se maintient par le plaisir qu’on en retire. On peut vivre ensemble sans plaisir mais c’est plus compliqué, plus chaotique, moins efficace, ça génère de l’insatisfaction, de la rancœur, des sentiments contreproductifs à l’épanouissement des individus et donc à celui du groupe.

C’est dans une disposition d’esprit relativement neutre que nous avons débuté le M² (Marathon Musical), tel Sisyphe poussant encore et encore son rocher dans l’escarpement d’un K² (montagne) musical. Au long des titres, paradoxalement trop longtemps délaissés malgré les enregistrements, nous avons constaté que les automatismes se perdent à la vitesse des flots assaillant le pied du Mont Saint Michel un jour d’équinoxe alors que les processions du Grand Pardon serpentent en psalmodiant sur les bancs de sable en contrebas, tous oriflammes brandis, derrière les prêtres endimanchés. Mais au-delà de nos approximations, c’est surtout la cruelle absence de notre choriste aux Blanches Mains qui m’a marqué. La réalité s’est durement rappelée à notre souvenir : Le chœur participe pleinement au rendu d’un titre ; il l’habille, l’anime, et son absence a mis en relief mes propres insuffisances. J’ai perdu mes repères, et surtout ma partenaire dans cette sorte de partie de tennis où l’on se renvoie les phrases comme des balles par-dessus le filet. Bien sur il y avait P. et Alain. Mais l’un ne peut pas être efficacement au four et au moulin, tandis-que l’autre m’a rappelé, pour reprendre l’analogie tennistique, le jour où après avoir raté toutes mes balles face à lui, j’ai décidé d’arrêter ce sport. Pour une fois Alain s’est retrouvé dans la situation de celui qui reprend une activité sportive après l’avoir trop longtemps délaissée : manque de technique, manque d’entraînement et de préparation.

Une répète au final qui va grossir les rangs de ces mercredi où la vista n’est pas au rendez-vous, qui sans être absolument médiocre ne marquera pas nos esprits, en tous cas hormis la présence de notre Baou bien sur, car sur le plan musical, il faudra attendre que nous retrouvions notre niveau nominal.
Au moment de se quitter j’ai rappelé à tous ce petit contrat proposé sur Chateaurenard en juin par un collègue médecin avignonnais. L’appât du gain – Cent euros – n’a pas été un argument suffisamment convaincant pour compenser les multiples inconvénients : éloignement, public étranger, heure tardive au regard d’activités matinales le lendemain. La motion n’a donc pas été adoptée.

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