Website Ribbon

mardi 27 avril 2010

L'Appogiature du Marabout

Avant l’enregistrement des chœurs du mercredi au SPB, nous avions pris la précaution de prévoir une répétition acoustique des quatre titres manquant encore d’accompagnement vocal. A cette occasion nous avions pu en préambule déguster de délicieuses bouchées au cacao et à l’avoine confectionnées par les filles de la maison, que nous dûmes cependant humecter d’un rien de boisson ambrée afin d’en faciliter le transit. En effet bien que succulentes ces sucreries avaient tendance à s’éterniser dans la bouche, un peu comme si elles refusaient le franchissement du gosier, confortablement installées qu’elles étaient sur le moite, tiède et souple matelas de nos langues. Il faut dire qu’elles faisaient suite à des sortes de petits cakes aux fruits au goût parfait mais à la texture serrée. Pris séparément ces deux produits auraient manifestés une totale innocuité, mais leur association eut un effet asséchant sur les muqueuses dont je craignis un instant qu’il nous amène à sursoir à la séance. Mais ces petites gâteries méritaient bien un léger désagrément, et comme le dit la sagesse populaire « à cheval donné on ne regarde pas les dents » ! Surtout quand il s’agit d’avoine.

Tout ce préambule pour expliquer que chanter la bouche encore pleine, qui plus « en décalé » ne facilite pas la justesse du ton. Pourtant auparavant, fort des recommandations du choriste Monsieur Bessuge, dont je vous avais parlé dans le précédent billet, j’avais enseigné la technique de « l’ampoule au plafond » à une assistance un peu dubitative dans un premier temps. Mais Catou, Lolo et Pierrot notèrent tout de même l’efficacité de la méthode, appliquée du reste avec une bonne humeur communicative, et relevèrent en tout cas la sensation de bien être que procure une séance commune d’étirements. Je tentai de leur expliquer que l’effet maximum ne saurait être atteint sans un série d’attouchements sur des zones précises du corps, hélas je n’emportai pas l’adhésion escomptée et dus renoncer à cette partie de mon coaching.

On passa en revue l’ensemble des titres manquants, avec un bonheur inégal mais un enthousiasme intact. La séance donna l’occasion à Pierrot de se défouler un peu en prenant possession des baguettes de la batterie électronique de Clara pour imprimer des rythmes inhabituels à nos compos et leur donner par moment des allures jazzy-nawak pas inintéressantes quoiqu’un peu déstabilisantes.

C’est donc muni de ce viatique musical que nous abordâmes la séance d’enregistrement chez Jako, avec le secret espoir que ces quatre titres ne seraient qu’une formalité. Insouciance de la jeunesse ! Nos précédentes démêlées avec nos compos auraient dû nous préparer aux inévitables lenteurs que nous rencontrâmes.

Nous décidâmes d’attaquer avec Docteur Bonheur. Au début Pierrot se joignit au duo féminin, tentant de trouver une troisième voie(x) plus grave, entre les primesautières quoiqu’un peu frêles interprétations de nos héroïnes du chœur. Intimidées sans doute par les micros au bout de leurs perches et le regard bienveillant de leurs compagnons de scène, elles eurent le plus grand mal à projeter leur voix au-delà des trente décibels, obligeant l’ingé-son à toutes les astuces pour en améliorer la captation tout en évitant de saturer l’enregistrement avec la voix de stentor du Leader. On procéda à plusieurs essais, l’une empruntant le ton de l’autre afin de tester la meilleure méthode tandis-que dans le même temps P. s’astreignait à une gymnastique cervicale compliquée afin, dans certaines parties, de ne pas noyer leur chant dans le volume de sa voix. Vu de profil, les mouvements de son cou décharné et les brusques déplacements de sa tête n’étaient pas sans rappeler le fluide et harmonieux mouvement du marabout cherchant alentours une nourriture fuyante au grès de ses pérégrinations d’échassier dans la savane africaine. On s’attendait à chaque instant qu’il déploie ses ailes et prenne lourdement son envol au dessus des troupeaux de gnous !

Le plus dur dans ce genre d’exercice, c’est de placer sa voix avec une justesse instantanée après de longues plages de silence. Car la voix ce n’est pas comme une guitare, il ne suffit pas seulement de vouloir produire une note pour qu’elle sorte dans la bonne tonalité. Quand on pince une corde on est assuré, pour peu que l’instrument soit accordé, de produire le son voulu. Pour qu’il en soit ainsi avec la voix, encore faut-il se « souvenir » de la note, surtout que ce n’est pas du tout la même que celle du chanteur. Quand la choriste intervient, il faut un léger laps de temps entre le moment où elle pousse sa note et la réaction du cerveau pour savoir si celle-ci est juste (le feedback, finalement). Le résultat est que l’entame est parfois fausse, le temps de corriger le tir. Les notes suivantes sont correctes, puisque on a pu se « calibrer » sur la première note. Le tout non pas à l’unisson, mais en harmonie bien sur. Comme s’il était besoin de rajouter de la complexité !

Il y eut de multiples essais. Afin de progresser, on décida de procéder par élimination, en somme de simplifier le message. Bien que sa contribution apporta beaucoup, on pria Pierrot de sortir du chœur, ce qui contribua à améliorer le résultat. Jako nous apprit même un nouveau mot pour que les filles ne butent pas systématiquement sur la première note : L’appogiature. Comme nous l’expliqua notre ingé-son, cette technique consiste à pousser la première note un « poil de cul » plus bas, un rien de ton en dessous pour permettre à la voix de se caler exactement sur la bonne fréquence. Une sorte de montée en puissance. En somme une manière de contourner la difficulté par un artifice cosmétique, de prendre la note par derrière, un peu à la sournoise, en lousdé, pour mieux la posséder.

Le docteur finit par atteindre le bonheur total et rendre les armes au terme d’un combat titanesque d’une heure trente… Catou et Lolo terminèrent cette séquence au bord de la rupture, du burn out. Tout le monde était en nage, Jako avait les doigts et les oreilles en sang à force de manipulations et de drops. Et même, en m’adressant à Catou pour lui demander une énième tentative, je vis passer dans son regard une lueur meurtrière. J’eus un mouvement de recul involontaire, mais fort heureusement Catou parvint in extremis à se contrôler.

Brockn’roll fut un rien plus facile à finaliser. Une grosse demi-heure suffit. Après les tensions générées par le « Docteur » on qualifia même « Brock » d’exubérant. Il est vrai que les filles après un décollage aux vapeurs de kérosène pour faire dans l’analogie aéronautique, avaient mis les boosters et atteint leur vitesse de croisière. Elles abordèrent le morceau totalement décomplexées bien que dans un état de grand épuisement, ce qui loin de les décourager leur fournit l’énergie du désespoir : c’est par un effort de volonté dont seule une femme est capable qu’elles enregistrèrent à l’arrache les refrains.

« C’est dur de faire du rock » proclame P. dans le texte de cette chanson. Je ne sais pas si la mythique route 66, qui relie au long de 2448 miles Chicago à Los Angeles présente des difficultés sur son parcours. Mais quand la route est dure : Les dures se mettent en route. Catou et Lolo nous le démontrèrent ce mercredi soir.

Aucun commentaire: