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lundi 27 octobre 2008

Commerciaux Débiles et Croates des Champs

Me voici dans le TGV qui me ramène à grande vitesse vers mon vaterland. En manière de présage, alors que durant toute la matinée le temps avait été printanier après l'ondée nocturne, celui-ci s'est singulièrement dégradé à mesure que l'heure du départ approchait. De lourds et lents nuages se sont amoncelés au dessus du dôme métallique de la gare de Lyon, dans une invite à peine voilé à déguerpir sans demander son reste.

Alors que je file en première classe, la campagne déroule son décor autour de moi, ma vision périphérique détectant de part et d'autre des taches filantes et colorées indiquant la vitesse grandissante de la machine dans son entreprise d'arpentage à grande échelle des provinces traversées.

Décidément je déteste ces grand-messes professionnelles, qui rassemblent dans une unité de temps et de lieu les acteurs du Landerneau radiologique. On se retrouve dans une ambiance de salon, pressé de toute part, sollicité, badgé.

Ce dernier point est amusant.

Nous possédions des badges « exposant » fournis par la société F... . Car l'inscription à la visite de l'exposition technique est hors de prix, voire dispendieuse. On le sait l'administration répugne à engager l'argent du contribuable dans des dépenses somptuaires et incite donc son personnel, cadres compris, à se former ou s'informer sur leurs propres deniers. C'est pour cette raison que nous sollicitons nos amis constructeurs et labos afin de participer au radiothon qui nous permettra de manger et dormir sans l'aide du SAMU social.

Lorsque nous abordions le stand d'un constructeur concurrent, une hôtesse, en général JJMS (jeune jolie mais seule) nous abordait avec un stylo optique afin de « doucher » notre identifiant opportunément agrémenté d'un code à barres. « C'est pour nos statistiques et afin de mieux personnaliser nos services futurs » précisa l'une d'elle. Mais la lecture optique révélait notre supercherie et le sourire engageant se faisait un peu soupçonneux. Peut être étions nous des espions à la solde d'une cellule de vieille technologique ennemie, venus en repérages sur le site afin de déterminer les tendances lourdes de la décennie à venir !

Cela nous faisait beaucoup rire de voir les visages des commerciaux se figer alors qu'ils tentaient de déchiffrer nos noms sous les reflets du carton plastifié qui oscillait sur nos poitrines au grès de nos mouvements souples. L'un d'eux, un haut responsable de G... E..., ôta même l'un de ses deux badges et me le tendit, afin que je déambule parmi les machines exposées sans déclencher l'ire de quelque zélote mal embouché, ni ne détourne un client potentiel de son chemin programmé.

Des années de participation à des congrès et expositions me confèrent désormais une expérience utile. Il est important de s'économiser, surtout « à nos âges ». Au fil des heures et des piétinements, les jambes deviennent lourdes, les reins sensibles, les talons douloureux. Les spots nombreux et les matières synthétiques induisent une fatigue oculaire aggravée de réactions allergiques à types de larmoiement. Il ne faut pas hésiter à s'asseoir dès qu'on en a la possibilité. Il s'agit là d'un marathon.

Les milliers d'animaux humains qui se côtoient en ces lieux dégagent une phénoménale quantité d'énergie calorique : la chaleur est étouffante. Je passerai sous silences les fragrances plus ou moins agréables qui envahissent l'atmosphère par ailleurs confinée des locaux. Par chance, je « bénéficie » d'un odorat très anémique qui me préserve du pire. Il est primordial enfin de voyager léger. Pas de lourd manteau, pas de sacoches ni de mallettes. Des vêtements de sports seraient l'idéal ; un minimum de présentation est toutefois nécessaire pour rester crédible dans son rôle de prescripteur. Pas de jogging donc, mais un coté sportswear de bon aloi fait l'affaire.
Surtout, en toute circonstance, s'efforcer de garder les deux mains libres, refuser tout sac publicitaire ou autres plaquettes techniques et encore moins ces affiches roulées censées résumer une technique. Les mains doivent conserver leur indépendance vis à vis des redoutables prédateurs, ces squales qui tentent par tous les moyens de vous attirer dans leurs rets et vous immobiliser dans leurs stands. Ces derniers, si on n'y prend garde peuvent se transformer en geôle.

Moins qu'un désir de vous exposer leur savoir-faire, ces hyènes n'ont qu'un but : vous empêcher de visiter la concurrence. Pour cela tous les moyens, toutes les bassesses sont à craindre. On vous oblige à des séances de poignées de mains interminables, des diaporamas à coté desquels les soirées super 8 de note enfance acquièrent la capacité narrative d'un Audiard. On vous glisse dans les pattes la pin up locale, en tailleur strict, mais avec le chemisier savamment et négligemment ouvert. Elles ont souvent le titre « d'ingénieur d'application » ce que chez Auchan on nommerait « démonstratrice » et curieusement, elle ont toutes moins de 25 ans.

Enfin et surtout on multiplie les offres de libations. Cafés, jus de fruits, puis alcools divers à dominante champagne. Et puis il y a ce que Philou aime appeler les « tapaâ » cacahuètes, olives, petits crackers, canapés de traiteur : le meilleur côtoie le pire. Il faut voir certains pains de mie badigeonnés de rillettes et abandonnés sans doute la veille. Tourista garantie. Dans toute l'exposition, durant quatre jours, c'est un festival pyrotechnique de bouchons de champagne. Il doit s'en boire autant à mon sens, qu'au cours de la féria à Nîmes. On ne veut pas vous bourrer la gueule, non, après tout nous sommes tous des acteurs de santé. Simplement on veut vous occuper, vous fixer.

Et puis il y a les échanges, les mondanités, ces paroles vides de sens, cet humour commercial sensé montrer qu'on sait tenir une conversation, de préférence sans intérêt. Il faut rester convivial, rebondir. La flagornerie est de rigueur. Le commercial tâte le terrain, tente de juger si vous êtes un bilieux, un sanguin, un flegmatique ou un mélancolique. Avec un peu d'observation, on arrive à suivre son processus intellectuel, sa mécanique ondulatoire : médiocre expérience des réactions humaines aux stimuli classiques : politique, sexe machisme, argent, glanée au grès des réminiscences de stages de communication et de management. Hurler avec les loups, veulerie, complaisance... Psychologie de comptoir dont je me régale à mettre à jour les ficelles, prenant un plaisir pervers à en brouiller l'action, multipliant les messages contradictoires, entraînant à ma suite le requin dans des impasses, des détours, un labyrinthe sémantique dont il ne ressort qu'au prix d'une rame à contre courant qui le laisse pantelant. Comme tous les squales, quand un requin s'arrête de nager, c'est l'asphyxie, il meurt : on peut passer au suivant. Chasser le prédateur sur son propre terrain, en utilisant sa force, comme au judo, j'adore ça.

Nous avions appris par une indiscrétion à type délatoire, dans la matinée de samedi; qu'une commerciale représentant une société de produit de contrastes avait offert à l'un de nos médecins une visite privée au musée d'Orsay pour l'exposition Picasso. Hélas, il n'y en avait pas pour nous. J'ai pris grand plaisir à l'aborder, faussement candide, jouant le gaffeur, en la remerciant pour son invitation à l'événement mais déclinant son offre prétextant une autre obligation. La pauvre femme ne savait plus comment s'en sortir. Elle était à mille lieue de se douter que nous étions au courant, et quant bien même, elle se serait attendue à ce que courtoisement nous n'abordions pas le sujet. Mais je ne suis pas courtois. plutôt joueur. Elle ne savait plus que faire avec ses tasses en carton de nescafé, empêtrée dans des circonlocutions alambiquées, invoquant la conjoncture économique, les tentatives désespérées de nous joindre, la rareté des places, les nouvelles lois d'éthique, la mort de Picasso. J'en passe.

Mais laissons ce jeux puérils.

J'ai aussi découvert le petit peuple de Paris, tellement simple, tellement attachant. Et notamment ceux que je nommerai par commodité « les croates ». Ces gens qui vous abordent pour vous demander un peu de monnaie, exhibant leurs stigmates, leurs enfants, leur folklore, proposant de participer financièrement à des causes improbables. Je suis d'un naturel méfiant quand je suis en territoire inconnu, et plutôt paranoïaque. Je me dissimule derrière un masque chafouin, opposant ma résistance passive aux sollicitations. Cependant, alors que je contemplais l'arc de triomphe, debout, fumant tranquillement, imprégné de l'activité du lieu, je ne pris pas pas garde qu'une jeune femme s'approchait de moi. Comme elle, plusieurs dizaines de personnes allaient et venaient, prenant des photos, s'embrassant, se dirigeant vers la bouche de métro proche, baguenaudant insouciants.

J'étais dans mes pensées, contemplant l'édifice Napoléonien et le carrousel de véhicules lui rendant hommage dans leur frénétique et aléatoire mouvement quasiment brownien. J'avais le sentiment que le monde s'accélérait autour de moi. Je le contemplais, comme dans ces exercices de pixillation, de prise de vue image par image. Sujet immobile j'observai le ballet régulier des bus qui déversaient des marées humaines aux mouvements saccadés, touristes le bras tendu en un salut ambigu au monument, tenant en mains leur téléphone en guise de boite à image, qui remontaient presque instantanément dans leur vaisseaux de l'asphalte, ne laissant pour toute trace que quelques immondices vite balayés par un agent de voirie indolent.

Soudain un mouvement attira mon attention, la jeune femme aperçue à quelques mètres, remarquait quelque chose à mes pieds, se baissant puis me regardant, dans une attitude interrogative. C'était une croate. Son allure me l'indiquait, son accent slave me le confirma. Le dialogue fut laborieux. D'une part elle s'exprimait dans un français plus qu'approximatif, et pour ma part j'ai la plus grande difficulté à saisir des mots prononcés à une certaine distance dans un environnement bruyant. Elle me montrait quelque chose : Une bague.
Je reproduis le dialogue, mais il faut garder à l'esprit que compte tenu des difficultés évoquées plus haut, je remets tout cela dans l'ordre et le condense. Il s'agit donc d'un docufiction.
« Vous avez perdu quelque chose monsieur, commença-t-elle, me montrant la bague. J'émergeai de ma bulle. « Pardon ? « C'est une bague, elle était à vos pieds, elle est à vous ? Je regardai l'objet. Un grosse alliance. « Non, ce n'est pas à moi Mademoiselle » je ne méfiai pas plus que ça car la croate était bien mise. Très « propre sur elle ». Elle rit. « Alors, me dit elle, qu'est ce qu'on fait ? « gardez-là répondis-je, c'est vous qui l'avez trouvée. « Paris vous porte chance, fis-je dans une poussive tentative d'humour. Elle me regarda. Préoccupée. Je sentais que je ne répondais pas à ses sollicitations comme je l'aurais dû. Elle regarda l'objet, le tournant entre ses doigts aux ongles par ailleurs excessivement rongés. Examinant l'intérieur de la bague, elle attira mon attention sur des inscription. « Vous avez vu ? C'est de l'or vous croyez ? Elle me tendit la bague. En effet, sur la face interne du bijou, on pouvait découvrir des chiffres gravés. « C'est de l'or ?! Poursuivit-elle. Je ne suis pas un expert, mais deux choses me chiffonnaient : le bijou était lourd, mais pas tant que ça pour un objet en or, et puis il me semblait me souvenir que pour certifier un travail d'orfèvrerie, il y a un petit animal poinçonné : une chouette par exemple. De mon coté je n'avais aucun doute, cet objet ne valait rien. Je le lui rendis. Mais ne voulant pas la décevoir je lui répondis : « Oui, en effet, c'est de l'or ! Son visage s'éclaira. Je rentrai dans le schéma classique. « C'était à vos pieds, elle est à vous enchaîna-t-elle. « Non, non, gardez la : vous l'avez trouvée. « Je ne peux pas, je suis évangéliste, je ne peux pas porter de bijoux. Elle me colla la bague dans la main, me salua, et s'éloigna. Durant le temps de notre conversation, ma méfiance s'était tout de même éveillée ; tout cela avait l'air d'un scénario bien ficelé, et j'en appréciai le montage et l'exécution. Tandis qu'elle s'éloignait, j'étais tout de même indécis. Elle n'avait rien demandé. Ca me faisait penser à un bouquin dont l'intrigue ingénieuse laisserait le lecteur sur sa fin dans une conclusion escamotée. Je roulai la bague entre mes doigts, notant au passage des défaut dans la dorure, souriant rétrospectivement à ce petit échange verbal. Et puis je la vis réapparaître dans mon champ de vision : « Vous n'auriez pas un peu de monnaie ? Je n'en ai pas pour prendre le métro. Nous y voilà pensai-je, presque rassuré. Je lui rendis la bague, lui conseillant, faussement candide d'aller chez un bijoutier pour la revendre, indiquant qu'ainsi elle pourrait s'acheter plein de tickets de métro. Elle ne prit pas la bague, et s'éloigna à nouveau en souriant. Je ne la revis plus..... croyai-je.

Le lendemain, je rencontrai à nouveau cette jeune personne sur les Champs (Elysées). Mais cette fois-ci, elle était vêtue de vêtements traditionnels croates, un fichu sur la tête. Elle s'appuyait sur une béquille. Sa jambe tordue traînait pitoyablement derrière elle. Elle marmonnait une litanie incompréhensible. Il était question de Dieu et d'enfants et de manger. Elle me reconnut, et entre deux psalmodies, elle me sourit. J'appréciai ce geste de connivence. Pour elle, désormais, j'étais à la coule.

Le lendemain, gare de Lyon, un type se pencha soudain devant moi. Une lueur de surprise dans son regard. Se relevant il m'exhiba une bague en or. Le même modèle que celui que j'ai encore dans ma poche. Avec son fort accent croate il me demanda, reconnaissant sans doute un joaillier de la rue des rosier dans ma personne chapeauté de noir : « Vous avez perdu çà monsieur ? Sans sourire je lui répondis : « Non ! Me mettant la bague sous les yeux il insista, excitant ma convoitise : « C'est de l'or, non ? Le regardant dans les yeux, sans même regarder l'objet je lui répondis : Non !
Il s'éloigna en maugréant.

Que vont-ils trouver, ces escrocs patentés, en costumes de ville de commercial cordial ou en vêtements folklorique de croate , pour ma prochaine visite parisienne ? Ils ont mis la barre très haut cette fois, ils auront du mal à faire mieux.

Mais je leur fais confiance.

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