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lundi 30 mars 2009

La Théorie du Chaos selon les Ouzbeks

Nous sommes allés il y a quelques jours dans un nouveau restaurant sur Nîmes. On ne sait plus ce que vont inventer les restaurateurs pour attirer le chaland. Il semble en tous cas que l’exotisme tienne lieu de passeport désormais pour remplir les salles.

Nous stoppâmes dans une ruelle de l’Ecusson. L’enseigne indiquait « La Route de la Soie », et figurait une carte de l’Asie traversée par un itinéraire interminable. En caractère pseudo-cyrilliques une légende précisait : « Restaurant Ouzbek Traiteur ». La Datcha était fermée, nous avions un mauvais souvenir du dernier Pakistanais, Le mexicain nous avait déçu, et Kouli ne nous régale plus depuis la fermeture de son établissement Grec : nous nous regardâmes et d’un signe de tête acquiesçâmes : On tente !

A l’intérieur nous découvrîmes un décor oriental et une salle plutôt petite mais chaleureuse. Des trucs et des machins à la destination incertaine, sans doute des instruments aratoires, pendaient ici et là, et un portrait en pied d’Allah ornait un des murs, qui se reflétait dans une immense glace, au mur opposé. Des tapis orientaux parsemaient le sol. Une dizaine de clients étaient déjà attablés. Des chants choraux, assez gutturaux, accompagnés d’instruments à corde et de ce que j’imaginais être des sortes de tablas nous accueillirent mezzo voce.

Ce qu’il est convenu d’appeler une « accorte personne » nous conduisit à notre table. Elle était plutôt grande, avec d’indéniables traits mongoloïdes, mais assez fins. Des cheveux noirs et longs encadraient son visage très fardé. A ses oreilles pendaient des arabesques de fil d’or représentant une main de fatma. Elle avait un cou incroyablement long, orné de breloques dorées plongeant profondément entre des seins largement offerts à la vue par une sorte de cache-cœur brodé de couleurs vives, laissant apparaître le nombril. Bas sur les hanches, et soulignant leur forme callipyge une jupe aux multiples plis, noire, cachait ses jambes jusqu’aux chevilles. A ses poignets tintinnabulaient joyeusement des bracelets ornés de clochettes. Elle nous laissa quelques instants, retournant en cuisine et lançant dans un dialecte inconnu des invectives au cuisinier que nous aperçûmes dans l’entrebâillement de la porte de service. Il était trapu, et chauve. A sa bouche une Boyard papier maïs se consumait mollement au dessus du faitout en alu séculaire. Je fus impressionné par ses pieds, larges comme des pantoufles, chaussés élégamment de tongs. Mais c’est son Marcel vintage « authentic edition » qui retint mon attention : il laissait la part belle à l’imaginaire quant à ce qu’il cachait sous son esthétique à trous, bien que l’aspect général me donnât tout de même quelques précieuses indications sur l’hygiène de vie du personnage.

Nous profitâmes de notre intimité pour parcourir la carte. Une présentation de l’Ouzbékistan en occupait la deuxième de couverture, la carte lui faisait vis-à-vis tandis que la dernière page affichait une incroyable liste de thés. J’appris d’ailleurs que le thé était la boisson nationale dans ce pays du bout du monde. A la carte, des plats régionaux égrainaient leurs consonances exotiques. Chez les Ouzbeks, le plat traditionnel semblait être le « OSh ». De fait la liste proposait des Osh à toutes les sauces, mais essentiellement composés de mouton et de poulet. Une autre famille de plats était constituée par les « Nans ». Un commentaire précisait que les nans étaient préparés selon la tradition séculaire de Samarkand. La seule évocation de ce nom mythique, connu depuis Marco Polo, m’invitait au voyage.

La serveuse revint pour prendre la commande. Elle nous précisa que les Nans étaient des sortes de pains ressemblant à des pitas. Devant notre hésitation, elle proposa de nous préparer un « plat surprise ». Nous étions d’humeur joueuse, nous acceptâmes. La chaude ambiance du lieu nous entraînait à la rêverie, nous évoquâmes nos voyages passés et les mille anecdotes qui en avaient jalonnées les parcours.
Nous parlions de notre voyage en Yougoslavie, qui nous semblait la destination la plus comparable à l’Ouzbekistan par son coté musulman et la rudesse des populations, quand la jeune femme nous apporta notre commande.

Elle posa deux chopes lourdement décorées de scènes de chasse, colorées et vernissées, munies d’un couvercle en étain comme leurs homologues bavaroises. Je soulevai le couvercle : un nuage de vapeur brûlante s’en échappa. Une odeur épouvantable me percuta les narines (moi qui ne sens pas grand-chose), qui me fit rabattre le couvercle violemment. J’eu la sensation d’encaisser un uppercut au foie de Mohamed Ali première période (Casius Clay en quelque sorte). J’essuyai mes larmes et m’enquis :
Mais (censuré) qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?!

Ah ! C’est la grande spécialité des montagnards Ouzbeks, me répondit avec un sourire espiègle notre hôtesse. C’est du thé, préparé d’une manière spéciale. C’est très énergétique. En fait c’est du thé sauvage qui pousse dans les steppes de moyenne altitude, là où paissent les troupeaux de rennes. Les rudes descendants des guerriers les cueillent et les font sécher sous la selle de leurs petits chevaux turcs. Le soir au bivouac, dans la grande yourte familiale, tous, jeunes et vieux boivent ce truc. Mais comme ils sont souvent partis loin de la tribu, pour se nourrir ils emportent de la viande séchée, du pemmican de rennes. Ils le font tremper dans le thé, et ils boivent ensuite la décoction. D’où le petit goût particulier de ce thé.

J’ouvris à nouveau le couvercle, et trempai mes lèvres dans le breuvage. Je dissimulais avec peine une grimace et complimentai prudemment la serveuse :
En effet, c’est goûtu. Ça a du corps.
Perfidement je regardai Odile, impénétrable : Essaye, tu verras. Avec un coup d’œil interrogatif et soupçonneux, elle porta le breuvage à sa bouche. Son visage se figea. Je vis ses masséters se contracter, les muscles de son cou se roidir sous le choc.
C’est… intéressant… très fin.. Éructa-t-elle courageusement en tentant un sourire. Du thé avec des vrais morceaux de renne dedans, il fallait y penser !
Pendant ce temps, la serveuse avait déposé sur la table deux assiettes du même service que les chopes. Les deux nans -les pitas- en occupaient toute la surface, fumantes et inquiétantes. A l’intérieur on devinait un mélange brun de sauce et de viande.

Et voilà le plat traditionnel des fiers Ouzbeks, commenta avec emphase la jeune femme. Ca s’appelle « Wlotch ».
Ouahou ! Fis-je. Et euh, qu’est-ce qu’il y a dedans ?
C’est du renne. Enfin, la plus noble partie du renne pour un Ouzbek. L’intestin. Dans la recette traditionnelle on le laisse faisander durant quinze jours. On ne le vide pas. Un peu comme le gibier chez vous. Et puis on le prépare avec une sauce spéciale, une marinade de fesces et de lait aigre de renne. C’est le même principe que pour le nuoc man, sauf qu’il n’y a pas de poisson. On laisse reposer durant trois mois dans des grandes outres non tannées de peau de renne. Le signe c’est qu’il ne doit plus y avoir de bulles à la surface. Ensuite on soutire au fond le jus de macération. Après on fait cuire comme un ragoût les tripes « farcies » (elle fait des guillemets avec les doigts) du renne dans la sauce. C’est le wlotch.

Quand vous dites « fesses » qu’est ce que vous entendez par là ? Est-ce ce qu’on appelle le cuissot chez nous ? Non, « fesce », comment dit-on chez vous : le caca du renne. C’est très énergétique. Il y a de l’herbe non digérée, des graminées, des céréales, des graines de toutes sortes. Ca rappelle le muesli. Les Ouzbeks l’utilisent pour tout. Comme engrais pour le thé, Pour construire les yourtes, comme philtre d’amour, en compresse pour les rhumatismes, et pour la sauce.
Mais vous n’avez pas de problèmes d’importation avec les directives européennes ?
Non, on triche un peu. On le fait venir lyophilisé sous la dénomination « mélange aromatique », ensuite on le reconditionne sur place : on le réhydrate, on rajoute du saindoux, des piments et ça a pratiquement le même goût, sauf que c’est un peu moins fort qu’au pays. Mais je vous en prie, attaquez, il faut le manger très chaud. Sinon la graisse fige et c’est très lourd à digérer.

Sur ces paroles, elle se tourna vers les autres clients qui avaient arrêté de manger. Tous avaient le regard fixé sur nous. En attente. Je pris conscience d'un détail que je n'avais pas remarqué en arrivant. Ils semblaient tous être des descendants de Gengis Khan. Même les femmes. L’un d’entre eux se leva, et entonna un chant profond. Tour à tour d’autres personnes se joignirent à lui, à la tierce et à la quinte. C’était un hymne de nostalgie qui parlait des steppes et des rennes, et de la communion autour du thé. Un chant d’anciens guerriers, un chant mélancolique de départ, d’abandon et d’exil. Enfin, d’après ce que m’en dit la serveuse.
Allez-y, mangez, nous pressa-t-elle devant nos gestes hésitants.

Je me lançai, sous les vivats de la salle. Je mordis prudemment dans la pita. Et là j’eu comme un flash de désespoir. C’était ignoble, d’une manière indescriptible. J’eu une pensée de sympathie pour tous ces globe-trotters télévisuels qui sillonnent le monde et font l’expériences de nourritures exotiques. On les voit manger de la cervelle de macaque vivant, ou des scolopendres frits, ou encore d’immondes choses visqueuses qui bougent encore et tentent de s’échapper quand on les porte à la bouche. Je crois qu’ils n’ont pas encore partagé le Wlotch avec les Ouzbeks. Si Le Wlotch était un film d’horreur, ce serait un film Gore. Censuré. Interdit au visionnage. Je tentai d’avaler. Je dus boire une longue gorgée de thé « arrangé » pour y parvenir et négocier avec mon estomac un sursis pour ne pas tour rejeter dans l’instant. Il fut magnanime. Odile de son coté était en grande difficulté. Je la sentais à la dérive, mastiquant désespérément, incapable d’avaler, incapable de boire, tentant de sourire alors que des larmes coulaient sur ses joues en étalant le rimmel de ses yeux.

L’assistance était retournée à ses agapes, la serveuse dans la tanière du cuisinier en marcel. Je profitai de l’absence de notre geôlière et chuchotai discrètement, une main devant ma bouche tordue.
Ma puce, tu as ton portable ? La bouche encore pleine elle me répondit :
mfoui, pourmffquoi ?
Appelle-moi sans te faire remarquer. Je m’occupe du reste.

C’est dans ces moments de désespoir que le mâle justifie son existence. Ces moments de détresse profonde où la femelle désemparée comprend avec la plus grande acuité que ce n’est pas pour changer la bouteille de gaz ou tailler les haies que le mâle a été conçu, mais pour la protéger. Pour la sauver des griffes Ouzbekes.
Mon portable sonna, je m’en emparai dans la demi seconde. Et croyez moi je n’ai pas eu besoin d’avoir fait l’actor’s studio pour être crédible. L’énergie du désespoir m’électrisait.

Oui ? Hein, quoi, comment ? Non ? Ce-n’est-pas-po-ssi-ble ? Un incendie ? Les pompiers. La grande échelle ? Des victimes ? On arrive tout de suite. Viens Odile ! Je lançai un billet de cinquante euros, Odile attrapa son sac, nous nous levâmes et nous ruâmes vers la sortie.
Sauvés !

Moralité :
Le thé au renne, deux pitas gores : c’est vraiment indigeste ; pour moi c’est de l’Ouzbek !

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Le thé au renne? Détale ,laisse, c'est de l'archi-merde.
P.

Anonyme a dit…

D'apres wikipedia, La route de la soie était un réseau de routes commerciales entre l'Asie et l'Europe allant de Chang'an (actuelle Xi'an) en Chine jusqu’à Antioche
En fait, très rares étaient ceux qui parcoururent l'intégralité du trajet. Marco Polo, son père et son oncle furent de ceux-ci.
COMME TOUT LE MONDE LE SAIT,marco polo , ami de gengis khan, est l'inventeur du football à cheval,ce sport de riches nantis de droite,qu'on pratique en argentine(anciens waffen ss) et au cercle de bagatelle (nestor burma en est un adepte passionné)
mais jamais, au grand jamais, le pere polo n'a tenu de restaurant,ni a venise, ni en chine
Donc mon hypothese,est que,legerement perturbé par les relents d'une boisson ambré ingurgité l'apres midi meme, lors d'une repetition impromptue,tu as imaginé etre rentré dans un restaurant,alors qu'en fait, tu penetrais avec ta douce odile dans une tannerie specialisé dans le cuir de renne et de merou
Finalement, ne te plains pas car si tu avais choisi le merou tu sais ce qu'il te serait arrivé,en cas de cuisson excessive !
poun

The Undertakers 5 a dit…

Cher Poun, d'une part IL NE FAUT PAS CROIRE tout ce qui est écrit dans Oui Qui ? Pédiatre ! c'est un thésaurus participatif sujet à caution car n'importe qui peut en modifier les articles.

Par ailleurs il me souvient, je crois, Que Marc à la Golf a ramené la Nouille de Chine. Et ça ne m'étonnerait pas que sur le chemin du retour, pour se refaire un peu, il ait ouvert une trattoria à Samarkand.

A voir. Mais pas impossible.

Par ailleurs P. merci pour ta remarquable contribution. le thé aux rennes de ta laisse, fallait y penser.

Mais j'aime bien aussi les thé au riz, surtout les thé au riz du cacao. que quand un papillon fait popo, en bas sur la carte, dans les rizières, y a un cyclône qui fait caca en haut sur les champs de Banania aux States.