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samedi 22 mars 2008

Des Ellipses, un Manchot, et le Jury de France-Inter

Nos répétitions se succèdent au rythme effréné des saisons. Le soleil se lève chaque matin, sans qu'on se pose la question de savoir comment il sera demain. Comme dans un film qui défile trop rapidement, j'ai l'impression que je peux en suivre la course dans le ciel dans les quelques secondes subjectives que me semblent durer mes journées. Notre association de bienfaiteurs salue déjà son deuxième printemps. La récurrence hebdomadaire de nos rencontres accentue encore ce sentiment d'accélération du temps dont je perçois intimement la fugacité de l'instant.
C'est pourquoi à ce moment précis où je vous écris, je savoure ces quelques minutes qui s'étirent dans une calme sérénité. Assis au comptoir de notre cuisine, je distends les secondes devant une tasse d'expresso tout en contemplant la fumée de ma première cigarette dont les volutes s'élèvent paresseusement en prenant des formes étranges dont je tente d'interpréter le sens, ainsi que le ferait un patient devant les figures énigmatiques d'un test de Rorschark en perpétuelle dynamique.
Je sors de chez le médecin, je suis bon pour le service, et je salue cette nouvelle en profitant d'un plaisir simple et contemplatif.

Je viens d'écouter à la radio la longue liste des participants au jury du Prix Inter du Livre. Les voix des journalistes faisaient comme une psalmodie floue dont j'occultais le sens. J'ai cette faculté de m'abstraire très rapidement de la réalité environnante et de laisser vagabonder mon esprit dans des limbes improbables. Mon audition défectueuse m'y aide efficacement, et les paroles autour de moi se brouillent facilement en un salmigondis qui me berce. Toutefois un nom a jailli, faisant irruption dans ma pensée consciente : Bruno Martin, chirurgien à Nîmes, est sélectionné dans le jury. C'est étrange, j'ai l'impression qu'à travers lui, moi aussi je fais un peu partie de la sélection ! En effet depuis des années, lecteur assidu, ardent défenseur de l'objet livre, dont je suis convaincu que toutes les merveilles électroniques ne mettront jamais à bas le bastion, j'avais l'intention d'envoyer à mon tour une lettre à France Inter pour communiquer ma passion de la lecture, et surtout de l'écriture. J'ai réfléchi à ce que j'aurais pu rédiger pour susciter l'intérêt du comité de sélection, et puis la paresse, et ce fameux temps, si volatile, m'ont détourné de cet ambitieux projet. Bruno Martin, que j'ai rencontré dans des fêtes, ne m'était pas apparu sous ce jour. La sélection se faisant sur l'envoi d'une lettre de motivation, il a du adresser un plaidoyer sacrément costaud pour retenir l'attention des sélectionneurs.

Mince, que le temps passe : miracle de l'ellipse, nous sommes déjà le soir ! Toute une journée de travail qui vient de filer en un passage au paragraphe suivant.
Comme dans les films :
Il la regarde dans les yeux, leurs visages se rapprochent, ils unissent leurs lèvres et en une torride étreinte, il la prend dans son bras puissant. Il est manchot, par coquetterie il n'en fait jamais mention et par fierté il ne porte que des chemisettes, son moignon coupé un peu au dessus du coude arbore une Rolex qui met en valeur la cicatrice parfaite. La montre est un modèle Oyster, des traces de chocs sont visibles sur le boitier. En effet l'homme a des difficultés pour regarder l'heure, à chaque fois il doit faire un mouvement vif pour porter l'objet à ses yeux, et la montre a tendance, dans ce mouvement de fronde improvisée, à s'envoler. Il a perdu son membre assez bêtement finalement. Il ne se souvient plus très bien des circonstances exactes, mais il se rappelle que c'était très con ! Il allonge la jeune femme dans l'herbe fraîchement coupée d'un cottage irlandais. Le fond sonore fait place à une mélodie tendre, tandis que la caméra, en un lent travelling, panote vers une meule de foin à l'arrière plan, puis s'attarde sur la danse ralentie d'un pur-sang et sa jument. Cut. Noir, fondu a l'ouverture : l'homme est au pied de la meule, il pisse bruyamment sur une musaraigne qui couine d'indignation. Il a une cigarette à la bouche, dont la cendre tombe sur le sol. Jetant négligemment son mégot dans la meule, il se retourne et hèle la jeune femme qui se rajuste (champ, contre-champ).
« Alors poupée, heureuse ?
« Houmpf, ouimpf, theu, theu theu (une voix féminine en off commente : « mon héros »...
Tandis que la camera suit l'homme en zoom arrière, on discerne nettement des flammes qui jaillissent maintenant avec force de la meule embrasée.
« Honey, je dois te laisser, je retourne à la caserne ils se sont peut-être aperçus que j'ai emprunté le camion ; chez nous les pompiers, le devoir passe avant tout !
« Au fait quand tu passeras devant le drugstore, prends-moi des cigarettes ! 'tin qu'est-ce-qu'il fait chaud ici. Quelle heure est-il ?
Gros plan sur le geste du bras, mouvement de fronde, la montre s'envole et atterrit dans la meule en feu. Fondu au noir sur le visage horrifié de l'homme.

Donc on en est là. J'aime bien les ellipses et si on fait abstraction des ellipses de lune ou de soleil, dont on constate concrètement les effets, l'ellipse littéraire ou cinématographique laisse libre champ à tout détournement de la volonté évocatrice de l'auteur ou du scénariste dans son processus narratif. Dans la scène précédente j'aime bien imaginer que les tourtereaux ont fait une partie de mah-jong, après qu'on ait vu les chevaux, et que dans la foulée ils ont mangé des spaghettis bolognaise. Elle s'en est mis partout, du coup (heureusement elle avait prévu le coup) elle s'est changée, la bouche encore pleine de parmesan. Romantique.

Ellipse à nouveau : nous voici le lendemain. Je laisse à votre imagination le soin de remplir les blancs. Une indication : il n'y avait pas de parmesan. Je m'aperçois que je tourne littéralement une page (ce qui précède occupe une Page A4), ce dont je me contente en général lors de ma publication hebdomadaire du compte-rendu de séance. Cependant je n'ai pas encore parlé du déroulement de notre dernière répète. Me voici dans l'embarras : dois-je m'en tenir au quota fixé ? -après tout je suis fonctionnaire et bien rodé dans l'application de règles variées et absurdes- ou me faut-il explorer une contrée mal connue, celle de la deuxième page ?

Allez, je me lance. Nos amis étaient déjà en train d'installer leur matos quand nous sommes arrivés rue des climatites. L'ambiance habituelle régnait dans les lieux. En bas, ils écoutaient la dernière
mouture de « Marre ». Un coté très Credence, avec un solo démarqué de la tonalité générale, qui introduit une réelle respiration, avec notamment un « Si » qui fait toute la différence et sur lequel nous ne saurions désormais plus faire l'impasse. D'ailleurs pourquoi n'y avons-nous pas pensé plus tôt ?

Avant d'entamer la séance, Sylvie m'apprit qu'Alexis s'était pris d'amour pour ma profession, que je partage avec Odile (nous partageons tout). Vous n'êtes pas sans savoir « qu'à la base » je suis MER. On dit MER pour les manipulateurs en radiologie, comme on appelle IDE un infirmier diplômé d'état. On ne dit pas « manipulateur en radiologie diplômé d'état » par contre, car ça ferait MERDE, et comme déjà je n'ai pas une opinion démesurée de moi-même, ce serait trop de bonheur. Donc on s'en tient à MER, qui finalement est assez plaisant, dans sa référence aquatique, évoquant les plaisirs maritimes et pélagiques, invitant à l'évasion, aux loisirs, et aux rêveries solitaires du marin au long cours.
Je donnai donc mon assentiment à la vocation nouvelle du jeune Fabre, lui faisant par ailleurs miroiter les nombreux avantages de la profession, notamment financiers. Je crois que je le convins. C'est très valorisant de savoir qu'on vient en quelques minutes de peser sur la destinée d'un adolescent, et que toute sa vie il se rappellera cet instant ou un Senior a pu lui transmettre son expérience et le guider sur le long chemin de la vie. Je crois qu'il avait envie de me remercier, de me manifester à sa façon une reconnaissance émue. Mais je coupai court aux effusions, retirant avec difficulté, mais tact, ma main qu'il serrait dans les siennes, et redescendis à la cave où une surprise m'attendait.

De fait je n'avais pas remarqué dan un premier temps une longue valise noire en matière synthétique posée sur un des fauteuils de la salle Jim Morrison. Pendant que je réglai mon micro, Pascou l'ouvrit et en sortit avec infiniment de douceur une basse. Une étiquette en ornait encore le manche. L'objet était magnifique, et dégageait une impression de luxe discret.

« Ma basse était en panne précisa Pascou en caressant inconsciemment son manche. Je l'ai donc portée à réparer aujourd'hui. Hélas le vendeur m'apprit que le délai était très long pour ce type de matériel. J'ai répondu au gars que c'était impossible, poursuivit-il, car j'en avais besoin pour le soir même.
« Le vendeur était bien embêté, il ne pouvait rien faire. Et puis il eut l'idée de me montrer une basse qui traînait par là. Un invendu d'après ce que je compris. Par coïncidence, c'était une fender de chez Fender. Le magasin avait été dévalisé la veille, un car de bassistes suédoises ayant raflé les stocks après qu'un feu se soit déclaré dans leur salle de répétition. Il ne restait que celle-là. La mort dans l'âme je dus m'en accommoder. Le prix en était outrancièrement dispendieux, mais 250 euros moins cher que le prix public. De plus je pouvais garder la valise. Je me dis qu'il me faudrait faire un détartrage de plus ce mois-ci pour compenser l'achat, mais que je ne pouvais faire défaut au groupe. Je repartis avec la basse.

L'émotion était palpable. Chacun avait interrompu son activité afin d'écouter l'histoire de Pounet. Je me surpris à essuyer discrètement mes yeux humides, et j'entendis Phil le K se moucher. Quel merveilleux exemple de professionnalisme !
L'Ultrabassiste brancha la basse sur son ampli et en tira quelques notes. A titre personnel je ne perçus pas une différence fondamentale avec son instrument précédent, mais de son avis « ça n'avait rien à voir ». L'effet placebo ! Si au moins cet achat compulsif pouvait lui redonner confiance en lui, et lui permette de jouer enfin avec le groupe, tout cela n'aura pas été vain !

Pour varier les plaisirs, depuis deux séances, le déroulement de la répète est différent. En effet, le traditionnel Marathon se complique. Non seulement nous jouons tous les titres à la suite, mais en plus je les sélectionne aléatoirement. Je ferme les yeux, je lance le cahier de chants en l'air je tourne trois fois sur moi-même, à tâtons je le récupère, j'avale une gorgée de boisson ambrée, et mettant le doigt sur une des pages, j'annonce le morceau. C'est le LotoSong.

Ca se passe plutôt bien, ça n'est pas l'interprétation du siècle, mais c'est correct. Un petit bémol pour Ecolo toutefois. On le sait, par le passé nous avons eu beaucoup de mal à trouver la forme définitive de ProtestSong, revenant sans cesse sur l'ouvrage, remaniant ici et là avant de trouver la bonne formule. Nous croyions Ecolo définitivement cadrée, mais l'introduction du piano nous pose un nouveau problème. Comment l'insérer dans l'ensemble ? Nous passons une bonne demi-heure à retourner le problème dans tous les sens sans trouver la bonne formule. Lolo a beaucoup travaillé sa partie, et sa transposition de mon badaoua est très sympa. Mais une fois joué, ça ne va pas, on a l'impression que la liaison est artificielle. Il nous faut donc encore chercher la bonne formule.

Bête de scène et Marre progressent, ainsi que Highway. Sur ce dernier je commence à m'approprier la voix, et le final notamment est un peu moins risible. Marre est peut être le plus abouti pour le moment. Je crois que cette fois-ci Pierrot a trouvé la bonne formule en introduisant ce solo, et en revoyant l'arrangement.

Une séance assez favorable par conséquent, avec son lot de joies et de peines, et la perspective de devoir travailler encore si nous voulons être prêts pour les échéances de mai.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

encore une perle...
tu finiras bien par nous l'écrire un jour ce bouquin ?
kéké

Anonyme a dit…

Je m'étonne tous les jours de la prose de Michel et je me demande chaque fois:" mais où va-t-il trouver tout ça?".

Odile admirative

PS: je viens enfin de trouver le u avec accent (ù) sur mon clavier