Website Ribbon

lundi 9 novembre 2009

OstAlgie


C’est aujourd’hui l’anniversaire de la chute du mur de Berlin. Cela me rappelle l’année 1973. Dans le cadre d’un séjour linguistique organisé par Monsieur Beck, prof d’allemand au lycée Feuchère, nous sommes partis cet été-là à Brunswick, près de la frontière est-allemande.
Je me souviens de notre séjour à Berlin durant cette période, j’avais 16 ans, l’empreinte sur nos esprits de la dualité Est-Ouest était omniprésente. Nous vivions dans cette crainte sourde d’un dérapage entre les deux blocs.

L’Allemagne était pour moi une petite Amérique cela faisait cinq ans que j’y faisais des séjours réguliers, et j’avais à chaque fois l’impression de découvrir une autre civilisation, plus libre, incroyablement en avance sur le monde étriqué qui était le mien à Nîmes à cette époque. Les jeunes y étaient plus autonomes, les rapports familiaux plus détendus, et je découvrais les grandes tendances qui allaient déferler sur la France avec plusieurs mois de retard. Bien sûr je pense que le fait d’être lâché avec une cinquantaine de jeunes comme moi en totale immersion loin du cadre familial influençait ma perception de ce pays. Mais tout de même, c’est là-bas que j’ai mangé mon premier hamburger, et que j’ai découvert les grands groupes du rock du moment, et fumé mon premier joint. Et c’est au cours de l’un de ces voyages que j’ai eu mon premier flirt. Accessoirement c’est un an plus tôt, en 1972, que j’ai pour la première fois croisé le chemin d’Odile.

Pour atteindre Berlin en car, il fallait franchir un long couloir autoroutier qui s’enfonçait à travers le territoire est-allemand. Comme le bloc communiste voyait d’un très mauvais œil cette verrue occidentale en plein milieu de la RDA, l’autoroute n’était pas entretenue. Son infrastructure datait de l’Allemagne Nazie. Le béton s’effritait par plaques, les voies étaient truffées de nids de poule. Le voyage fut donc interminable. Pour rentrer dans Berlin Ouest, nous avons dû attendre des heures dans le car. Les Douaniers sont montés dans le bus avec nos passeports, examinant chacun d’entre nous attentivement. Nous avions pour consigne de ne surtout pas faire les marioles. Nous nous regardions, échangeant des plaisanteries à deux balles qui cachaient mal notre nervosité. Coté est-allemand on ne voyait pas les choses avec humour, et même des gosses de 16 ans étaient susceptibles de dissimuler quelque dangereux fauteur de trouble.

Lors de notre séjour Berlinois, nous étions logés dans une auberge de jeunesse dans un quartier un peu excentré. Le soir nous avons visité le centre ville, et j’ai eu le sentiment d’être « là où les choses se passent », c’était foisonnant, intense, joyeux. Nous avons emprunté le Kurfürstendam le Kudam comme disent les berlinois, et nous sommes recueillis devant la Gedächtniskirche l’église du souvenir, que les allemands surnomment aussi die Holenzahn la dent creuse car de l’édifice initial il ne reste plus qu’un chicot éventré et noirci, martyrisé par le pilonnage des bombes soviétiques. Le lendemain nous avons pris le U Bahn, le métro, pour nous rendre à l’est. J’ai encore le souvenir des recommandations expresses de nos accompagnateurs. Ils étaient tendus et inquiets : surtout se tenir tranquille, pas d’excentricités. Dans la rame de métro régnait une atmosphère étrange mêlée de crainte et d’excitation. Un peu comme quand on monte dans le train fantôme. On sait que c’est sous contrôle, mais bon : tout peut arriver.

De fait dès les premières stations en secteur est-allemand, nous avons compris que de l’autre coté on ne rigolait pas. Sur les quais des VoPo en arme surveillaient les rames. Comme le métro serpentait entre des secteurs occidentaux et soviétiques les stations alternaient : du coté ouest sous un éclairage puissant une foule de gens attendant la rame, affairés, vivants, de l’autre les quais étaient désertés et crépusculaires, les lieux vétustes comme figés dans les années soixante.

Après une visite de quelques monuments et lieux commémoratifs au cours de laquelle nous n’avons pu descendre du bus, nous avons emprunté la célèbre Unter den Linden Allée « sous les tilleuls » qu’on peut comparer aux Champs Elysées parisiens. Pour rejoindre la Potsdammer Platz. L’impression que j’en garde, c’est que malgré le fait que ce soit un jour de semaine, les grandes artères et les trottoirs étaient comme vidés de leurs habitants et leurs véhicules. Il n’y avait pas un chat. Un silence impressionnant régnait dans cette métropole. On percevait physiquement la chape de plomb politique qui la recouvrait. Il y avait un grand magasin qui s’étendait sur plusieurs étages. J’ai été frappé, au vu de la dimension ahurissante des locaux, par la pauvreté des marchandises proposées. Le choix était anémique, et le retard technologique flagrant. Les postes de radios étaient d’un autre âge, les chaines HiFi prenaient des allures de mastodontes, les télés monstrueuses restituaient une image noir et blanc de piètre qualité sur des écrans plus sphériques que rectangulaires. Alors que chez nous depuis plusieurs années les appareils électroniques étaient habillés de plastiques, en RDA ils prenaient encore des allures de meubles, habillés de bois vernis façon palissandre. Les prix convertis en francs étaient astronomique, les chalands très rares. On avait l’impression d’une vitrine garnie d’échantillons censés démontrer la supériorité de la technologie est-allemande, exposés avec une dérisoire fierté. Comme si le régime avait voulu ainsi proclamer : nous aussi savons faire des biens de consommation, pas besoin d’aller à l’ouest pour ça.

Sur la place comme nous avions soif nous avons acheté des bouteilles de coca. Sauf que ça s’appelait du Sinalco Cola. La forme de la bouteille était similaire, et la couleur de la boisson identique. Mais le goût n’avait rien à voir. Avant de pénétrer la frontière, on nous avait obligés à changer des marks de l’ouest contre des marks de RDA, en précisant que nous devions tout dépenser car les ost marks restants ne seraient pas changés lors de notre retour. Nous aurions bien voulu, mais nous constations qu’il n’y avait RIEN à acheter ! A ce propos Odile m’a raconté une anecdote : tandis qu’avec ses copines elles buvaient leur Sinalco sur la place, près d’une fontaine, un couple les a abordées. Ils désiraient changer de l’argent contre des marks ouest allemands. Elles ont décliné l’offre et le couple s’est éloigné. Aussitôt après deux hommes se sont approchés pour demander aux filles ce que leur avait dit le couple... Tout au long de notre séjour à Berlin, nous avons été surveillés. Pour finir ce récit je parlerai de la gigantesque cafétéria du centre ville. Elle paraissait similaire à une cafétéria Casino avec son système de self service, ses tables alignées. Mais là s’arrêtait la comparaison : sur le long linaire conduisant aux plats chauds, des alignements d’assiettes contenant la même entrée puis le même dessert, et au moment de choisir son plat : Il n’en était proposé qu’un type.

Depuis j’ai repensé à cette visite qui a frappé nos esprits d’adolescents. Je me suis dit que nous avions perçu cette RDA avec nos yeux d’occidentaux, et que notre foisonnement de marchandises, notre aisance, l’illusion que nous avions d’un total libre arbitre teintaient de manière un peu trop caricaturale notre interprétation de la situation de ce pays du bloc communiste à travers un prisme très matérialiste. De la même manière que les populations de l’Est étaient formatées par une propagande omniprésente, peut-être l’avions nous été, de manière plus insidieuse nous aussi.

Cependant au-delà de ces aspects cosmétiques, une chose demeure intangible : le long des stations est allemandes les hommes en armes étaient bien réels. Bien réel aussi était le Mur derrière lequel nous pouvions contempler la Brandenburger Tor et le Bundestag. Ce mur qui empêchait les uns et les autres de revoir leurs familles et ceux de l’Est de faire un libre choix de société.

Comme toujours en matière humaine, ce qui est primordial c’est le choix.

Aucun commentaire: