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mardi 5 avril 2011

Quand L'Emotion S'Empare des Super Novae

Je n’ai pas compté tous les titres que nous avons mis en chantier, ou que nous avons simplement testés au cours des années écoulées. Qui se souvient que nous avons sérieusement envisagé de mettre au répertoire un titre (Ding Ding Dong) des Rita Mitsouko, lequel nous a occupé de nombreuses soirées? Que nous avons testé en concert Highway to Hell ou encore un slow de Lenny Kravitz, ou même que nous avons réuni dans un enchaînement improbable les couplets de Sweet Home Alabama et les refrains de We Will Rock You sous prétexte que la rythmique était identique ? J’ai appris par cœur Sympathy for the Devil, et un truc des Beatles, Back To USSR je crois, mais aussi Antisocial et Tush de ZZtop avant que quelques répétitions nous convainquent que c’étaient là de mauvaises idées. Pour les besoins d’un anniversaire nous avons travaillé et interprété parfois dans des conditions controversées au sein même du Groupe, Alexandrie et Belinda du regretté Cloclo. Une ou deux compos sont également passées à la trappe, d’autres peinent un peu à se concrétiser ou existent sous plusieurs formes différentes. Cependant j’aimerais bien que parmi tous ces rebus, on puisse extraire à nouveau le très ludique Oh les Filles d’Au Bonheur des Dames que nous avions si bien massacré, avec quel enthousiasme, en son temps.

Je n’ai pas recensé précisément les titres de notre répertoire actuel, mais cela doit se chiffrer à 25.. En définitive nous n’avons pas beaucoup progressé au fil des ans malgré une supposée amélioration de notre expertise musicale. Six titres « utiles » par an en moyenne pour un nombre total qui doit se situer entre trente-cinq et quarante. On a jeté entre deux et trois titre par an. Cependant avant de nous taxer de fainéantise, il faut considérer le nombre de répétitions dont a bénéficié notre modeste formation. A part la première année, où nous avions pu surbooker nos agendas musicaux avec deux répétitions hebdomadaires durant quelques mois, nos impératifs respectifs nous ont contraints à une répétition par semaine. A mon sens, compte-tenu des divers congés des uns et des autres, et du dilettantisme du chanteur, une quarantaine de répétitions annuelles constitue le maximum sur lequel nous avons pu compter en moyenne.

Six titres annuels, quarante répétitions d’une heure efficace (hors conversations et pauses diverses) : Chaque titre a nécessité 7 heures pour le jouer à peu près correctement. Le rendement n’est pas formidable, mais enfin, il n’y a pas à rougir non plus. A trois minutes par titre, c’est durant soixante quinze minutes continues que nous pouvons charmer les oreilles de nos auditrices, ce qui compte-tenu des entractes nous permet d’asseoir notre prestation sur une heure et demi à deux heures de spectacle au grès des exigences commerciales du cafetier et de la verve du chanteur.

C’est à cela que je réfléchissais dans ma studiomobile mercredi dernier, le 29 mars, tandis que je roulais silencieusement vers le domicile des Fabre. Silencieusement car essentiellement par paresse, je n’ai pas rassemblé nos nouveaux titres sur un CD, je ne peux donc plus les écouter sur l’autoradio de bord. Comme par ailleurs le système de transfert de fichiers musicaux sous Itune vers Iphone est d’une lourdeur diabolique et qu’en plus je n’ai aucun moyen de brancher ce dernier sur la sono embarquée : je ne chante plus ! Tout au plus fredonnai-je les titres anciens, tentai-je de raviver ma mémoire avec quelques bribes des morceaux récents.

Je n’apprends donc plus mes textes en ce moment. C’est à pleurer : j’arrive à la répétition sans avoir dans la semaine travaillé quoi que ce soit, et c’est avec le pénible sentiment de vide intérieur et de totale vacuité du déficient cérébral qui émerge difficilement de son brouillard que j’aborde les longs monologues des Blues Brothers, restituant avec l’accent d’un pakistanais qui aurait écouté un cajun de la Louisiane imiter l’accent cockney de l’East End londonien, le boniment de bateleur des men in black de John Landis.

Je ne parle même pas de chorégraphie : mes yeux sont rivés au texte, et si je pouvais même le suivre de mon doigt je le ferais si mes mains n’étaient pas empêtrées entre le micro et le verre de coca dont je me désaltère pour adoucir une voix dont j’ai l’impression qu’elle devient de plus en plus grave , à tendance caverneuse version sépulcrale. A défaut d’andropause, la cinquantaine induirait-elle une production par trop abondante de testostérone dont on sait qu’elle favorise cette expression d’une virilité triomphante qu’est la voix de basse ?

Ce mercredi, Cette voix à la volubile faconde fut coupée dans l’un de ces élans lyriques chers au rebelle que je suis, par l’annonce grave et sibylline que nous fit Notre Poun. Une sorte de « coup de tonnerre dans un ciel serein » comme disent volontiers les anglo-saxons lorsqu’ils affectent de parler français en empruntant à notre corpus idiomatique. Un peu comme lorsqu’ils évoquent le « déïjaâ viûüe » prémonitoire ou s’exclament, triomphants « héï voâlââ ! »

Délaissant sa basse l’Ultrabassiste du XXIème Siècle me tendit son gobelet en requérant, à brûle pourpoint et en total contraste avec la conversation en cours, une dose de coca « à la mémoire de François ». Un temps interloqués nous marquâmes l’arrêt : Poun pouvait-il préciser l’identité de ce François ? Nous lui proposâmes un ou deux noms, amusés par ce propos incongru dont il nous régalait soudain. Hésitant il se perdit dans des circonlocutions erratiques avant que son visage ne se déforme, sous l’emprise d’une émotion dont nous comprîmes qu’elle le submergeait et qu’il lui était difficile de la contrôler.

Embarrassés nous ne savions plus que faire. Je me tenais gauche et emprunté, ma bouteille à la main, tentant de reprendre pied, submergé dans une bouffée empathique par l’émotion de notre ami, ne comprenant où notre bassiste voulait en venir : et puis n’y tenant plus, avec une brusquerie suscitée par l’embarras je questionnai : « Mais merde Pascou, QUI C’EST ce François ? »
« C’est un maçon philosophe buveur de gauche, et il vient de mourir » laissa tomber Poun, d’une voix éteinte, à peine audible, dans des mots exhalés plus que prononcés. Et puis comme si une écluse avait lâché, qui aurait permis d’évacuer par la même occasion un trop plein de flots impétueux, Il reprit le contrôle de son visage et de ses émotions. Avec un calme croissant, sous nos encouragements bourrus, il nous raconta l’histoire de cet homme, le père de son neveu, Romain, le fils de Sylvaine.

Il y a des moments rares, dans notre société singulière qui étale sans pudeur ses sentiments dans des œuvres de fiction obscènes mais réprouve l’exposition publique de ses émotions les plus dignes de notre attention, où l’on comprend de manière aiguë l’utilité de l’amitié.
L’amitié c’est fait pour partager des moments de plaisir, boire des coups, se sentir moins seul, elle est sans doute héritée de ces temps immémoriaux, quand les hommes se pressaient frileusement, tremblant de froid et de peur, autour d’un maigre feu, remerciant quelque providence encore anonyme de leur avoir permis de vivre une journée de plus.
C’est le choix d’une relation avec des personnes dont on sait confusément qu’elles partagent des valeurs similaires, dont on accepte la différence, dont on apprécie l’indulgence.
Par dessus tout c’est pour ces instants, quand on baisse sa garde, où l’on ne peut plus faire autrement qu’exposer à tous ce que l’on a à l’intérieur, sans se soucier d’un quelconque jugement de valeur, ni aucune crainte du regard de l’autre mais dans l’espoir qu’on sera accompagné, réconforté dans ce passage douloureux qui est devenu in-supportable.

Ce moment, qui nous permit d’entrevoir au fond de notre Poun une lumière différente, et nous offrit l’occasion de lui communiquer un peu de notre chaleur, eut la brièveté, la fugacité de la trajectoire d’une comète dans le ciel d’août, mais aussi l’intensité et la violence d’une supernova qui décharge en une fraction de seconde son énergie à des parsecs alentours. C’est ainsi que m’apparut, comme jamais auparavant, la sensibilité de Pascal, dissimulée qu’elle est derrière l’un de ces masques que nous portons tous, pour nous aider à traverser ce monde sans trop de dommage.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

merci pour lui