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dimanche 14 février 2010

Où l'On Apprend que P. Aime le Jeu, mais Pas Las Vegas

J’avais emprunté pour cette nouvelle session d’enregistrement au SPB, la casquette américaine à la griffe pseudo-newyorkaise de Toto le fils de Lolo. Je me fis la réflexion que je n’aurais jamais acheté un couvre-chef de cette sorte, et n’aurais accepté de le porter que si on me l’avait offert ou si je l’avais gagné au loto. Toto, Lolo, Loto, la boucle aurait été bouclée.

Suite aux efforts vestimentaires de certains (on se souviendra des gants puis des mitaines et enfin du chapeau du bassiste notamment), cette casquette, élégamment portée la visière de coté, constituait pour moi un passeport afin de faire partie du club des fashion-victimes du groupe, en recherche d’identité et de singularisme tant vestimentaire qu’artistique. Cependant à mon arrivée au studio, je ne décelai aucune curiosité dans les yeux indifférents des présents, bien trop occupés à parler de choses et d’autres. Tout au plus Jako arqua-t-il un sourcil, notant la tentative, sans pour autant la commenter.

Je retrouvai notre batteur, de retour de villégiature au ski. Nous parlâmes un moment de ce séjour placé sous le signe du froid extrême, puis embrayâmes, je ne sais selon quel processus, sur les séries télé.
P. nous fit part, avec une vigueur qui me surprit au regard de son habituel flegme, de son aversion pour la série Las Vegas, qui véhiculait les influences les plus pernicieuses : Il en interdisait l’accès à ses filles. Il est vrai que le spectacle de cet antre du luxe tapageur amoral et superficiel n’est pas le plus édifiant pour nos chères têtes blondes. Mais putain qu’est ce que c’est bon à regarder, ces jolies filles désinhibées sur fond de palmiers et de machines à sous noyées d'alcool. En tous cas c’est plus porteur de rêve qu’un épisode de Derrick, Navarro ou de ce truc émollient avec Mimi Mathy.

Mais loin de Vegas et des séries policières, l’heure tournait inexorablement, qui imprima son diktat à mon humeur.
Une certaine fébrilité s’était emparée de moi en ce début de séance, et je trouvai le temps bien long en attendant que l’orchestre soit au complet et que tous installent, assemblent puis règlent leurs instruments. D'accord, avec un micro et un carnet de chant je voyage léger, mais j’avais envie d’en découdre, de prendre cet enregistrement à bras le corps.

Le groupe étant quasiment au complet, si l’on excepte Odile, excusée pour les problèmes de cou que vous connaissez. Nous en profitâmes donc pour reprendre des titres que nous avions jugés médiocres lors du premier enregistrement. Nous commençâmes par Spam, la fleur au fusil. C’était un de nos premiers titre et sur le papier, pas le plus compliqué. Pour je ne sais quelle obscure raison cela fut loin de se passer comme nous l’aurions voulu.

Sept tentatives et une guitare plus tard, nous y étions toujours ! Au fil des essais, l’un ou l’autre d’entre nous se plantait irrémédiablement, à tel point qu’au bout de la quatrième prise Jako miséricordieux, et sans doute attentif à nos habitudes alimentaires alla nous chercher quelques bières et une bouteille de whisky afin que nous nous détendions un brin. Quand on est dans la spirale de l’échec, tout commence à prendre une importance démesurée. J’imagine que ce fut pour chacun d’entre nous pareil et qu’il trouva en lui-même les ressources pour exorciser les démons qui l’agitaient et l’entravaient dans son travail.

En ce qui me concerne, je tentai de m’abstraire de mon environnement, essayant de vider mon esprit, me repliant dans un néant de pensée afin de ne pas trop gamberger sur mon texte, et les différentes manières de l’interpréter (des pires jusqu’aux moins bonnes). Le néant de pensée se déchira cependant : je me remémorai une interview de Cecilia Bartoli, la cantatrice italienne à l’occasion de la sortie d’un album qu’elle consacrait à la musique baroque et aux castrats. Elle disait que le chanteur est toujours sur le fil du rasoir (surtout les castrats ah ! ah !): Il a le devoir de « servir » l’auteur et le compositeur, mais en même temps il lui faut livrer une part de lui-même (surtout les castrats ah ! ah ! –décidément-) au travers de son interprétation qui exprime sa compréhension de l’œuvre, teintée de sa personnalité et de ses expériences. Je méditai celà, mes mains inconsciemment ramenée en coupe sur mon entrejambe, testant ma belle voix de grâve en guise d'exorcisme : je lançai avec inquiétude dans le micro fermé : "Tout le monde est là ou quoi ?" Subrepticement je baissai les yeux, écartai les mains précautionneusement, tout le monde était bien là !

J’étais bridé par une sorte de dilemme : Mon travail expressif avait montré ses limites récemment, et je savais qu’il me fallait me replier sur le texte, et rien que le texte. Mais au fil des reprises de ce Spam qui ne voulait pas sortir correctement, je devais lutter constamment contre mon désir de me lâcher et de faire péter ce foutu texte. Parce que bon, les mots étaient magnifiques, mais au bout de la septième fois, une sorte de sourde lassitude s’installait, qui pesait sur l’enthousiasme et l’engagement.

C’est tout le danger de la prise de son chorale : Elle restitue au mieux le jeu du groupe, mais elle ne pardonne aucun incident de parcours. Et puis même si d’un point de vue technique ça peut paraître potable, il manque parfois au fil des prises, le petit brin de folie qui traduit le plaisir commun.
Cependant la huitième fois fut la bonne. Après réécoute nous délivrâmes un « bon à tirer » à notre ingé-son qui la mit en boite. Ce n’était pas la meilleure version, loin de là, mais c’était la plus propre. Hélas nous ne retrouvâmes pas les accents du tour d'échauffement, joué sans pression car hors prise de son. Elle avait plus à Jako pourtant, par son coté un peu nonchalant, détaché, désabusé. Une leçon de plus à tirer : toujours être ouvert à la bonne surprise, car de la gangue de terre peut émerger la pépite inattendue. pas de chance, même si Jako avait enregistré une partie du morceau pour faire ses réglages, la fin n'avait pas été captée.

Il n’y eut pas que de la sueur et des larmes dépensées sur ce set qui prit tout de même une heure et demie : Jésou dut sacrifier sa guitare sur l’autel du live : Au cours de la deux ou troisième réécoute, Jako nota une vibration parasite sur l’instrument du Barde. Après observation attentive, ce dernier vit que la première frette, celle sur laquelle repose les cordes, était cassée au niveau du passage de la corde de Mi grave. Sans doute une chute précédente en était-elle la cause. Sur les deux titres que nous fîmes par la suite au cours ce cette soirée laborieuse, Jésou utilisa une Les Paul blanche prêtée par notre hôte.

Épuisés par cette longue série, nous passâmes à Bête de Scène. Comme mus par l’énergie du désespoir, nous expédiâmes son enregistrement en une prise ! Ce qui me fit penser à ces longs matches de tennis, ou les deux joueurs ferraillent en ahanant durant deux heures, jeux après jeux, jusqu’à un tie breack interminable, puis bouclent le deuxième en vingt minutes chrono, comme si la situation s’était dénouée au travers d’une débauche d’énergie paroxystique et une délivrance douloureuse, laissant les protagonistes pantelants, pressés d’en finir et prêts à tous les compromis pour y parvenir.

L’enregistrement de BrocknRoll (je ne me souviens plus du titre exact) nous posa un problème de tempo. Nous avions oublié ce titre lors de la première série de prises de son. Ni Jako ni nous même n’avions donc de repère précis. Pourtant nous avions dans l’idée que nous jouions ce morceau trop rapidement. Pour la première prise nous adoptâmes donc un tempo très lent. Bien sur cela me permit de bien délier mes mots, mais en regardant Jako à travers la vitre, je vis qu’il trouvait le temps long (d’ailleurs au bout d’un moment, je le surpris à faire la causette avec Lolo, qui était passée dans la cabine).

Il fit part de ses doutes au Leader sur ce choix. Pour lui ce morceau devait être joué sur un rythme enlevé. Sur ces conseils, nous fîmes plusieurs prises successives, au cours desquelles nous accélérâmes graduellement la cadence. Au final, et après satisfecit de l’ingé-son, il me sembla même que le tempo était légèrement plus rapide qu’initialement ! Nous gardâmes la dernière prise sans grande conviction. Techniquement c’était correct, mais comme le fit remarquer P. c’était trop lent ou trop rapide : nous avions du mal à imprimer son style à cette chanson.

Pour conclure cette soirée en demi teinte, mais riche en enseignements, Jésou enregistra en solo sa partie sur Ecolosong, ce qui permit aux autres de médire avec le plus grand bonheur. La récréation finale nous fit du bien.
On se sépara vers minuit. Jako nous promit de faire un filage des enregistrements archivés et de le mettre sur CD afin que nous fassions un petit état des lieux de l’existant et des travaux à venir.

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