Website Ribbon

vendredi 17 juin 2011

Cauchemar de Batteur

Je regardais Phil Le Carré dernièrement. Il avait les traits tirés, et une lueur d'épouvante semblait hanter encore ses yeux rougis aux pupilles dilatées. "Lendemain de feria" m'objectera le nîmois de souche, opposant l'évidence aux conjectures les plus folles sur l'état d’esprit de notre moulineur de fagots. Mais ce n'était pas celà : Quelques jours auparavant j'avais pu constater qu'il avait traversé sans encombre la succession de bodegas dont nous avions honoré les comptoirs. Exercice dont d'autres, dont ma légendaire discrétion m'oblige à ne pas révéler l'identité, s'étaient nettement moins bien tirés.

"Phil, tu as mauvaise mine !", lançai-je pour rompre le mutisme qu'il opposait à ma sollicitude tandis-qu'il contemplait son limoncello d'un regard morne. C'est d'ailleurs ce détail qui m'alertait. Dieu sait qu'on ne connait à notre Carré aucun vice notable. D'un naturel sobre, il avait cessé de fumer depuis plus d'un an. Son poids ne trahissait aucune gloutonnerie et d'ailleurs sa pratique assidue d'un sport de combat -le golf- ne pouvait que le maintenir en forme. Cependant il ne refusait jamais un petit verre du limoncello de Sylvie, notre accueillante hôtesse, à la buvette de la SJM. C'était son péché mignon, sa petite fantaisie, bien innocente. Et là il semblait ignorer avec le plus grand mépris l'offrande acidulée des Fabre.

La belle voix grave de notre Carré, celle qui avait chaviré le cœur de lolo, dans sa bouleversante interprétation de Behind Blue Eyes dans la version Limp Bizkit, rompit comme à regret le silence, hésitante, puis se raffermissant à mesure qu'il prenait de l’assurance :

"En ce moment je ne sais pas pourquoi, moi qui dort comme un bébé habituellement, je fais chaque nuit systématiquement le même cauchemar ; ça me réveille en sursaut, et après j'ai toutes les peines du monde à me rendormir".

« Mince ! » Compatis-je. « Et te souviens-tu de ton mauvais rêve après le réveil ?

"Oh oui, comment oublier ça ! En fait je suis en concert. Avant de monter sur scène P. le Leader me donne ses dernières instructions et conclut, répétant l'expression à plusieurs reprises : "propre et carré, Phil, souviens-toi : propre et carré".

« Le concert commence et j'ai cette phrase qui tourne en boucle entre mes deux hémisphères, comme un loop dans une mauvaise boîte à rythmes, "propre et carré, propre et carré, propre et carré" et petit à petit ça me paralyse, et je ne peux pas m'empêcher de ralentir, alors P. me regarde et je vois la fixité de son regard, et ses yeux ténébreux. Ca me glace le sang, Je me reprends, je retrouve le tempo, mais la guitare rythmique semble plus rapide : j'essaie de la rattraper, mais quand on est à peu près synchro, mes bras semblent animés d'une vie propre et ils commencent à battre, indépendamment de mon esprit, et on dirait à la fin le rythme effréné du poignet de ma mère qui me préparait mon lait de poule à grands coups de fourchette dans un bol de faïence quand j'étais gosse, avant de partir à l'école.

« et tout d'un coup mon esprit s'échappe de mon corps, je ne contrôle plus ce dernier, je flotte dans les cintres et je vois l'orchestre. Tous s’adressent des signes de tête, manifestant leur incompréhension, et la voix de Pierrot fait comme une mélopée, jointe à l'unisson puis en harmonie par celles des musiciens, chacun empruntant une ligne mélodique, comme la danse des dauphins qui slaloment dans l’océan marquant chacun son sillage dans l’immensité bleue agitée de légers clapotis. Alors que Mitch improvise des variations africaines "propre et carré, propre et carré, propre et carré". Je suis impuissant, le public scande maintenant dans une fiévreuse bacchanale ce quatrain infernal ; je ne parviens pas à rejoindre mon corps, je tente de brasser l'air ridiculement, comme un Yannick Agnel sous acide, pour rejoindre mon alter ego onirique, mais un souffle puissant , un mur liquide sirupeux, s'opposent à ma progression, tandis-que je vois mon double ricaner diaboliquement en dardant de ses yeux hallucinée des flammes infernales : « Propre et carré, Phil, on t'a dit propre et carré... tu sais pas lire une partition, tu sais pas suivre les instructions ?! Non !! Répond d’une même voix le public, extatique et rugissant, noyant telle une houle profonde les accents de l'orchestre sous ses vagues amples et sourdes.

« Avec horreur, depuis ma position élevée, je vois soudain que mon corps se transforme, les traits se durcissent, mes vêtements disparaissent, absorbés par ma chair qui se racornit puis se craquèle, laissant apparaitre un assemblage métallique qui imprime à ma silhouette déformée des mouvements saccadés, désordonnés au début, tandis qu’un gigantesque métronome prend place derrière la batterie. Une sculpturale playmate jaillit des coulisses et avec des mouvements lascifs, rejetant sa guitare dans le dos à la manière d’un guitariste folk échappé de l’ile de White saisit le balancier à deux mains et lui imprime un premier mouvement, pesant de tout son corps aux seins tendus. Le retour est lent tout d’abord, puis comme s’il venait à la vie le fléau qui prend les allures d’une faux démesurée acquiert une autonomie propre tac, tac… tac, tac…. La playmate s’écarte et saisit un jack au bout d’un long câble, se rapproche de mon double et le plante à l’emplacement où quelques instants auparavant se trouvait un sexe. L’assemblage humanoïde se cambre sous l’assaut des volts qui se déversent en crépitant. Et mon corps en constante transformation, mon alter ego métamorphique s’anime ; les mouvements de la machine et de cet être qui n’est plus moi mais une chose cybernétique animée par l’enfer, battent désormais en phase. Les musiciens ont disparus depuis longtemps, semblant se liquéfier puis imprégner de flaques sales les planches de la scène qui vibrent comme des cordes de basse, le public lui-même s’est fondu en une masse obscène qui produit un son similaire au ôm des bonzes de l’Himalaya. Ne subsiste que cette chose de métal, caricature humaine sans grâce, aux mouvements mécaniques, qui scande d’une voix d’airain pardessus le battement des caisses : « Propre et carré, propre et carré on t’a dit ! ». Et soudain, la force qui me retenait cède, et je suis attiré vers l’automate inexorablement, et je suis aspiré par la gueule ouverte de cette machine infernale dans un atroce grincement de métal. Je perds toute notion de temps et d’espace. Je ne ressens que le froid du métal qui me glace jusqu’au plus profond de mes os.

« L’instant d’après je suis devenu ce robot effrayant, je vois par ses yeux, en images saturées et plates, striées de parasites vidéos et de lignes de trames. Mes membres artificiels se meuvent contre ma volonté, je suis emprisonné dans cette boite, incapable d’agir. Je sens mon esprit qui sombre inexorablement dans la folie, incapable d’autre chose que de psalmodier sur des rythmes binaires : propre et carré, propre et carré..

« C’est à ce moment, où le désespoir m’étreint et que l’hystérie me gagne, que je me réveille, en sueur, haletant assis dans les draps défaits, examinant mes mains, incrédule puis enfin rasséréné, pantelant, épuisé.


« Et ben putain ! Fis-je, reprenant soudain mes esprits puis refermant d’un coup sec ma mâchoire pendante. Je défis le bouchon de la bouteille posée sur la table dont la fraîcheur givrée acheva de me ramener à la réalité : Tiens, reprend du limoncello…

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Il déménage ton limoncello !!

P.antois

poun a dit…

euh mitch......t'as arrété la cigarette, c'est bien
mais est-tu sur d'avoir arrété tout ce qui se fume ?

Anonyme a dit…

on a pas du boire le meme limoncello, a moins que ce soit des sequelles de la feria,mais presque huit jours apres,tu avais du bien charger!!

phil le k

The Undertakers 5 a dit…

Sourire... En tous cas, ce qui me fait plaisir, c'est ce que ce récit entraîne des commentaires ! Bon en effet, j'ai peut-être "un peu" interprété la réalité... Mais c'est pour construire la légende du Groupe, pour plus tard quand on aura des éxégètes qui se pencheront sur notre passé.
Et d'ailleurs n'hésitez pas à l'alimenter, cette légende, en produisant les contributions qui vous sembleront utiles pour mieux cerner chacun de nous... A vos plumes les plus débridées chers amis !