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samedi 27 mars 2010

C'est en Moi, Ce N'est Pas en Moi

Ktou m'a glissé ce texte, au cours de la soirée d'anniversaire d'Hubert. J'en connaissais l'existence, Odile m'en avait parlé. Je savais déjà qu'il s'agissait d'une sombre histoire, d'une rencontre orageuse entre deux êtres en un lieu de méditation.

La lecture est au premier abord déroutante, qui mêle de manière ambiguë les points de vue d'une femme et d'un homme dont inexplicablement les réalités personnelles se télescopent en un clash destructeur. Quel est le parcours de chacun, quelle est leur histoire personnelle ? se connaissaient-ils avant ? est-ce leur première rencontre, ou bien s'agit-il d'un rite établi ? je pencherai pour cette dernière hypothèse car la femme sait que le fossoyeur "avait un coeur de pierre".

Comme dans un champ contrechamp cinématographique filmé à l'épaule par un Lelouch, on plonge dans les pensées de l'un et de l'autre et si l'on n'y prend garde on se perd dans leurs méandres de violence et d'attirance. Dans cet affrontement ravageur, l'un semble sortir gagnant, mais le prix est terrible, comme s'il avait voulu extirper la violence d'un sentiment qu'il ne comprend pas de la seule manière qu'il connaisse : physiquement. C'est un constat des difficultés que nous avons à dealer avec nos affects, et aux solutions empiriques que nous leur apportons : maladroites, inadaptées et immatures... instinctives le plus souvent. A l'instar de ce qui se passe dans une relation amoureuse, évoquée ici dans sa forme la plus dépouillée, physique à nouveau, lors du coït que l'on imagine hâtif et animal, pratiqué avec violence mais sans passion, dans un défoulement libérateur, sur la tombe même que la femme est venue visiter.

L'un et l'autre partagent cette phrase sibylline : "c'est en moi, ce n'est pas en moi" un peu comme sur le ruban de Moebius on semble tourner sans fin sur un même chemin, tout en explorant en fait les deux faces d'une même réalité/dualité. L'auteur voudrait il signifier par là l'étrangeté des sentiments, dont on ne sait pas très bien s'ils nous sont personnels, ou bien s'ils sont des manifestations extérieures qui s'imposent à nous et dont nous sommes les spectateurs/acteurs impuissants ? Le cimetière est en tous cas le terrain de nos renoncements, de nos échecs, et des compromis terribles que chacun fait avec soi-même pour continuer à exister tout en gardant son intégrité mentale. C'est aussi celui de la compassion mélancolique que l'on éprouve pour ce moi que l'on contemple parfois dans ces rares moments où la conscience de soi se dédouble, dans le même processus que ce tableau célèbre de Norman Rockwell figurant un peintre qui reproduit l'image même du tableau que le spectateur contemple, plongeant ce dernier dans un abîme existentiel insondable.

Dans La scène finale, le fossoyeurs brûle ce qu'il a si maladroitement aimé dans un geste de rejet de quelque chose qu'il ne comprend pas, qui le dépasse. Cependant il en conserve les cendres. dans un vase. dans une urne. il sacralise l'instant, il le fait sien. S'il ne comprend pas cette complexité, il ne peut se résoudre à l'oublier. Comme peut être d'autres épreuves, il la garde en lui, elle fait partie de lui et participe de sa construction, même si on imagine l'édifice instable, bâti sans architecte sur des fondations mouvantes.

Pour conclure je dirait qu'il est évident que les protagonistes de ce récit sont issus d'une expérience onirique et ne sont que les deux faces d'un Janus androgyne.

Dernier détail : le texte, imprimé sans mise en forme sur deux feuillets porte comme entête : "Mémo interne". et le bas de page précise : "Confidentiel"...


J’l’ai rencontré au cimetière
C’était l’fossoyeur
L’avait un cœur de pierre
Et il m’a fait peur
Je lui ai souri
Il m’a dévorée.

C’n’est pas en moi c’est en moi
Il m’a foudroyée

Elle cherchait la tombe de sa mère
Moi j’avais les pieds plein de terre
M’a ébloui
J’l’ai détestée

C’n’est pas en moi c’est en moi
Elle m’a agacée

Ma passion fut dévorante
Et ma proposition démente
Mon cerveau s’est débranché
D’faire l’amour c’est c’que j’voulais

C’n’est pas en moi c’est en moi
Il m’a foudroyée

J’ai pris ma pelle et l’ai cognée
Devant l’mausolée je l’ai brûlée
En cendres je l’ai ramassée
Dans un grand vase l’ai enfermée

C’n’est pas en moi c’est en moi
C’est comme ça que j’lai aimée

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