Driiiiiiiiiig ! (En fait notre téléphone ne fait pas dring mais c’est plus aisé à retranscrire qu’un son polyphonique du style « toulatoulatoulatoula »). Driiiiiiiiiig, donc, fit notre téléphone, rompant la quiétude de notre soirée, vers 21 heures. « Mais qui cela peut-il bien être, qui nous appelle à cette heure si tardive ? » me demanda Odile en levant ses yeux par-dessus les verres progressifs de ses lunettes en posant son bouquin. C’était un livre proposé par l’une des membres du prestigieux club de lecture nîmois dont Odile fait partie. Un écrivain Lapon, ou Inuit, enfin une sorte d’esquimau, qui excellait dans le roman policier crépusculaire sur fond de rayon vert. C’était le troisième tome. On avait fait l’impasse sur les deux premiers, qui de toute façon faisaient peu défaut. L’action, qui se déroulait au cours de la longue nuit polaire, ne débutait réellement qu’en milieu de troisième partie, pour se développer parcimonieusement tout au long des sept ou huit opus suivants.
De mon coté, je délaissai mon point de croix pour me saisir de l’appareil.
- Oui j’écoute ? fis-je
- Mitch, c’est Jésou, tu as quelque chose de prévu ce soir ?
- Non, pas plus, pourquoi ?
- Ben avec Pascou on se demandait si on pourrait pas se faire une petite répète ?
Rapidement je considérai mon ouvrage. J’étais en train de finir le « b » de mon abécédaire, et je balançai un moment : répète ou point de croix ?
- Oui, c’est super, Jésou, tout le monde sera là ?
- Ouais, sauf le batteur et la pianiste.
- Sans problème, j’arrive dans une demi-heure. Odile ne viendra pas elle essaye de s’y retrouver dans son polar polaire, elle aimerait avancer un peu : là le héros et ses potes sont en train de s’enduire le corps d’urine de Renne pour attirer un mâle et lui faire sa fête.
- Ok.
- Je t’embrasse
- Moi aussi
- Allez raccroche
- Non, TOI, raccroche
- Ne fais pas l’enfant : à « 3 » on raccroche
- Ok
- « Un »
- Biiip, biiip, biiip.
- Le chien, il a raccroché avant, maugréai-je ; il s’appelle pas Monsieur Bip pour rien, tiens !
-
Arrivé Impasse des Clématites, je vis Pascou et le Barde dans la salle du bas, à travers les demis fenêtres du local donc la clarté inondait en une flaque chaleureuse l’escalier. Je saluais respectueusement la Maîtresse des Lieux, avant de m’enfoncer dans la catacombe et son univers déjà brumeux. Une sorte d’intime gaîté nous rassembla, autour du réglage des dispositifs. Incontestablement nous étions heureux de nous retrouver. En attendant Godeau, pardon Pierrot, nous reprîmes nos compos, dans une configuration inédite, guitare-basse-voix. Bruno puis Cyril firent une courte apparition, tenant la batterie un moment. Par parenthèse, Cyril a fait d’incontestables progrès, et son jeu serait tout à fait intéressant s’il n’avait la fâcheuse propension à s’endormir un peu au long du morceau. On dirait ces antiques phonographes à manivelle qui entament sur une polka endiablée et terminent en berceuse à mesure que le ressort se détend. En langage moderne, on préciserait que, commencé à 160 bpm, le rock hystérique du début se termine à 20 pulsations secondes selon le logarithme inverse de l’euphorie de Cyril.
La mise en doigt et en bouche fut cependant bon enfant. Dans l’intervalle Bruno avait descendu un bidon d’antigel afin que nous réchauffions nos âmes et nos corps à son corps ambré. Nous honorâmes le breuvage respectueusement, avec les égards auxquels avait droit une bouteille qui avait fait le chemin depuis l’Andorre pour satisfaire nos gorges.
Pierrot nous pris en route un peu plus tard et s’installa sans attendre à la batterie pour se lancer dans des riffs improbables et échevelés, tout en maintenant un tempo respectable que n’aurait pas renié Le Carré. Comme à l’accoutumée, le son monta, mais avec modération me sembla-t-il, bien que Sylvie nous rappelât régulièrement à plus de tempérance dans notre délire sonore.
L’absence d’Odile nous ôta toute retenue en matière de tabagisme, qui résolument se maintint au niveau « hyperactif » par opposition à son petit frère, le passif, si détesté par les poumons fragiles. Après le marathon d’usage, qui fut enthousiaste à défaut d’afficher un zéro défaut, nous discutâmes un peu. Nous parlâmes de nos projets, évoquant cette parité compos/reprise chère à nos cœurs. L’actualité du moment, et la perspective d’un CD nous avaient depuis plusieurs mois éloignés du « répertoire », cependant cette envie de détourner de son droit chemin un « titre connue » pour reprendre l’ineffable expression de Valérie en son temps, commençait à nous titiller à nouveau. Jésou, qui s’est fait une spécialité de travailler « tout sauf les titres en chantier » nous régala de bribes de divers hits, qu’il interpréta avec une réelle inventivité. Nous reconnûmes Angie, des Stones. Bruno nous y aida en épaulant son père dans le déchiffrage de la partoche. De mon coté je dénichai sur mon nokia par le biais d’Internet les « lyrics » du titre. Une aimable cacophonie s’ensuivit, Jésou et son fils n’étant pas tout à fait d’accord sur l’enchaînement des accords, et Pascou tentant de déchiffrer les tablatures à distance. Pierrot, tel un arbitre dans ce match au sommet, comptait les points, tandis que de mon coté j’ânonnais laborieusement Angiiiiiiiie. J’étais loin d’avoir une connaissance livresque des paroles, surtout si l’on considère que je les déchiffrais sur l’affichage micrométrique de mon téléphone. L’impro totale dont fort heureusement, j’allais dire « miséricordieusement » nous n’avons gardé aucune trace sonore. Nous ne souhaitions pas que Lolo fasse un nervous brèquedaoune en l’écoutant.
Lors d’une deuxième série de reprises nous eûmes le plaisir d’accueillir Alexis et sa charmante amie, qui nous firent l’amabilité de ne pas trop se plier les cotes de rire. Marion, il me semble, eut la délicatesse de manifester de l’intérêt et d’applaudir courtoisement au bon moment, ce qui nous ragaillardit et nous permit de « ressentir nos cœurs vibrer » pour paraphraser le poète.
Las, Sylvie une fois de plus nous tança vertement, lançant à la cantonade, en une appréciation collective un « Vous êtes des Gros Cons » affectueux, avant qu’avec veulerie Jésou ne désigne injustement Notre Pascou à la vindicte publique. Je ne reviendrai pas sur cet épisode superbement raconté par l’Ultrabassiste plus bas dans ces colonnes.
La dernière partie de soirée fut la plus intéressante, puisqu’elle se transforma en séance expérimentale. J’imagine que Pierre Boulez en son temps, ressenti le même plaisir à défricher des terres inconnues. Lui c’était la musique concrète au sein de l’Ircam, de notre coté ce fut la musique acoustique, une musique pour ainsi dire « à l’eau claire », dont nous découvrîmes avec ravissement les joies simples.
En fermant les yeux, en écoutant les doux accents des guitares muselées je pus même imaginer le feu de bois qui crépitait, éclairant nos yeux de reflets humides, et Hugues Auffray chantant Santiliano devant un parterre d’adolescents pré pubères en tenue de louveteaux.
lundi 2 mars 2009
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