Quand on modère un blog, il est parfois des moments de solitude extrême. Ainsi samedi soir, afin de rédiger le traditionnel billet de répétition du mercredi, me suis-je privé du plaisir de partager avec mes amis un repas à la Datcha, restaurant russe. Je les imaginai, dans la chaude ambiance slave, se régalant de zakouskis à grandes rasades de vodka, tandis que des serveurs en tenue traditionnelle de cosaques du Don, les mains brandissant des brochettes enflammées, présentaient ces dernières en virevoltant dans les airs sur un kasatchok débridé interprétés à la balalaïka par quelque accorte et blonde jeunette fraîchement débarquée de son kolkhoze. Tout cel me rappelait en outre notre tout premier concert, que nous avions donné au Délirium Tzigane, théâtre de notre plus gros succès, dont l'ambiance slave et les jolies serveuses resteront gravés dans ma mémoire au fer rouge de mon souvenir ardent.
J’en faisais la réflexion à Pascou ce dimanche midi, après qu’il m’eût raconté la vraie soirée à la Datcha, finalement pas si éloignée de ce que j’avais imaginé dans mon délire solitaire, les cosaques et une grande partie du groupe en moins, mais avec de la vodka en plus semble-t-il puisqu’il s’en consomma une bouteille entière, ce qui serait presque anodin, bien qu’il faille considérer qu’elle le fut à quatre, dont deux femmes.
En effet, passant chez les Richebois afin d’y laisser le livre que Ktoo doit donner à Odile dans le cadre de la prochaine réunion de la « bibliothèque », ces derniers avaient eu la gentillesse de nous « garder à manger » comme on dit. Pascou en profita pour me raconter la virée musicale de la section cordes vendredi dernier, avec une tournée des lieux traditionnels : Haddock Café, Pélican, et un bar musical situé au nouveau centre commercial des 7 Collines. D’après l’Ultrabassiste, le Haddock fut sans surprise, puisque la soirée se révéla un calque presque superposable à celle de la semaine précédente : tour de chant, appel aux amateurs, ritournelles à l’harmonica. Le Pélican retint leur attention grâce à la fréquentation massivement féminine du bar. Malgré l’absence de concert, le spectacle féminin dont les membres semblaient excitées par l’appel du rut suscita tant l’intérêt de nos trois larrons qu’ils y restèrent un long moment. Allant fumer une cigarette dans l’arrière cour aménagée, ils eurent même durant un moment un léger sentiment de malaise, tant la tension sexuelle était à son comble. Craignant pour leur sécurité, ils battirent en retraite pour la dernière destination de leur virée nocturne, où ils purent écouter un groupe de quatre musiciens et un chanteur. Ce dernier était le petit jeune du groupe, n’affichant que 55 ans au compteur, alors que certains de ses comparses frôlaient les soixante-dix au bas mot. Un répertoire Rock, centré sur les années 70 avec une prédominance Rolling Stones. Pascou m’en montra un court extrait, capté par son nokia, qui me fit regretter de n’y avoir pas assisté. Peut être dans vingt ans pourrons nous également régaler ainsi le public et lui donner du plaisir.
Mais du plaisir il y en eut mercredi. Nous étions en formation restreinte en l’absence de Lolo, clouée sur son lit de douleur par une angine intestinale à type de débâcle, dans le sens qu’il prend au printemps quand fondent les glaciers, qui entraînent avec eux des torrents de boue et de rochers, avant d’inonder la vallée en contrebas. Je ne m’étendrai pas plus, Philou vous en parlerait mieux que moi avec la synthétique précision qu’on lui connaît.
Avant de rentrer en séance, il me fallut prendre le temps de dissuader Alexis d’envisager la préparation du concours d’entrée à l’école de manipulateurs en radiologie (« mais tu es fou Alex, ce métier est une impasse, et puis épuisant, tu vas te taper des horaires pas possibles avec des nuits et des week-ends à côtoyer que des gens malades pour un salaire de misère, SURTOUT , ne fais pas cette connerie, tiens, fais n’importe quoi, pourquoi pas expert comptable, mais PAS manipulateur, je t’en conjure, Satan, sors de ce corps ! »). Parfois, on se demande ce qui passe par la tête des gosses, je vous jure. Les jeunes ont de ces idées… Et c’est à désespérer de se saigner aux quatre veines en les portant à bout de bras, pour arriver à ce triste constat.
Encore sous le coup de cette inattendue vocation, dont j’espérais que j’avais tué dans l’œuf l’embryon d’un quelconque désir de la mettre en application, je rejoignis les autres dans l’antre des possibles musicaux. Musicien, ça c’est un métier honnête et sûr ; va Alexis, je ne te hais point, pensai-je pendant que mes amis s’installaient.
Je ne peux cacher qu’un brin d’appréhension m’étreignait. La séance précédente avait un peu entamée mes enthousiasmes vocaux, et je redoutais le début de cette répétition. J’avais l’impression de ne plus savoir chanter, si tant est que je ne l’ai jamais su. Dans ma tête tournait surtout la mélodie de « Juke Box » qui m’avait tant perturbé lors de notre « séance des chœurs ». J’essayai de me la fredonner, au milieu de la classique agitation de début de séance. Du coin de l’œil j’observais Phil le K, énigmatique comme à l’accoutumée, régler ses toms et faire quelques roulements de caisse claire, de l’autre coté Pierrot et Pascou étaient en plein conciliabule au sujet d’une modification dans la partition basse, et tandis qu’Odile posait son cahier de chant, le Barde jouait les accords de titres qui comme d’habitue n’avaient strictement rien à voir avec notre répertoire. Tous semblaient sereins, et je ressentais avec la plus grande acuité ma propre nervosité que je tentai de juguler, une fois n’est pas coutume, avec un fond de boisson ambrée.
Las, ce fut le moment de débuter. On se tourna vers moi pour que j’indique le premier morceau. Prudemment, j’évitai Juke Box, et proposai « Oublie » moins polémique. Entre temps Pierrot avait suggéré qu’on joue moins fort « afin que tout le monde puisse s’entendre ». Je dois dire que cela changea tout. De mon coté j’avais décidé de chanter le plus naturellement possible, rester au plus près du texte et de la mélodie, revenir dans la scansion originale et limiter les effets de voix au maximum. Ces derniers temps, j’avais expérimenté plusieurs voies (voix ?) et je m’apercevais qu’insensiblement je m’étais éloigné des versions originales. Même si tout n’était pas à jeter, je sentais qu’il fallait que je retrouve les fondamentaux. Je pense que chacun dans sa partie avait un peu le même sentiment : il fallait épurer. « L’épurée, c’est bien, mais l’épuré de pomme de terre c’est meilleur » commenta le Barde. Après quelques tours de chauffe, épaulé par Odile très en forme sur les chœurs, le groupe trouva son rythme de croisière. Et prit du plaisir. Les morceaux s’enchaînèrent très proprement, nous retrouvâmes les bonnes vibrations qui justifient tous nos errements en égrainant nos compos puis les reprises.
A la pause, je demandai au Leader Maximo des nouvelles de notre professeur de chant. J’appris d’une part que Coraya n’était pas libre en soirée, et que d’autre part tout cela n’était qu’un joke : La jeune femme n’avait pas la plastique invoquée par Pierrot, et son chant n’était pas si extraordinaire que ça. Pierrot conclut avec des accents de sincérité qui ne trompent pas : « et de toute façon, pourquoi aurions nous besoin de cours de chant, nous sommes parfaits comme ça ». Rasséréné, c’est beaucoup plus détendu que je donnai le coup d’envoi du réglementaire marathon musical. Ce dernier se courut en 45 minutes chrono, notre guitare solo enchaînant les titres à mesure que j’en faisais l’annonce. Je notai la fluidité de notre interprétation. J’appréciai aussi l’utilisation minimale des distorsions des amplis. J’avais la sensation d’un jeu plus limpide et dépouillé qui éclairait et soutenait mieux mon interprétation.
En fin de session, nous discutâmes du concert de crémaillère de Sylvaine. Les impératifs des uns et des autres, et aussi le fait que nous devrons jouer en plein air, dans la cour intérieure en contrebas de l’appartement , nous amena à repousser la date vers fin février, début mars.
Ce qui nous laisse le temps de consolider notre bagage musical et nous présenter dans les meilleures dispositions à cette importante échéance.
lundi 26 janvier 2009
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