Il s’engouffra dans le flot de circulation qui s’écoulait paresseusement sur la route d’Arles en direction de Nîmes. Depuis longtemps il avait abandonné toute velléité de conduite sportive. Il n’était plus un homme pressé désormais, sans doute son futur statuts de cinquantenaire, de senior, y était-il pour quelque chose, encore qu’assurément la multiplication des radars et contrôles policiers en tous genres , ainsi que la lourdeur pachydermique de son mitsubishi Pajero tout autant que quelques frayeurs routières y avaient contribué pour une plus grande part. Sur France Inter, Nicolas le jardinier conseillait avec conviction une auditrice sur les bienfaits de la bouillie bordelaise contre les nuisibles de l’abricotier, ajoutant tout de même que c’était un peu tard, mais que cette dame pensa surtout bien à couper les gourmands, ces rejets inutiles, pour ne pas épuiser l’arbre. L’homme de l’art embrayait sur la méthode pour pincer les tomates quand Mitch réalisa en tâtant sa poche droite, que son paquet de tabac en était absent. Parallèlement le ton sévère d’Odile lui revint en mémoire : déjà que ta 405 pue la clope, tu ne vas pas enfumer la mienne ! Il sourit ; il se dit que ça ne faisait rien, qu’il pourrait bien se passer de son Drum pour une journée. Satisfait de cette pensée, et fier de sa détermination, il prit un embranchement qui le ramena au domicile. Après tout, maintenant qu’il avait prouvé sa volonté, qu’il pouvait s’arrêter quand il le voulait, il pouvait toujours récupérer son tabac ! Ce qu’il fit avec une certaine fébrilité.
C’est tout de même à 8h30 pétante, que remontant la rue de la Lampèze, il tomba nez à nez sur les voitures de Pierrot et Pascou. Quelle précision ! La cohésion du groupe était désormais totale, même dans la concomitante des rendez-vous. Mitch « 75% » Mazet qu’on appelait ainsi en référence à son taux de réussite à la loterie des notes, gara son véhicule sous l’oeil inquiêt de Catherine puis rejoint les autres à la cuisine. Le kéké était là, en tenue de tennis : appareil photo en bandoulière. Cela fit sourire Mitch, « il l’emporte vraiment partout cet appareil » il eut une vision du dentiste, assis sur le trône, pantalon baissé, son appareil réglé en mode rafale, « au cas où ». Pour des raisons de commodités, celui qu’on nommait affectueusement « le Sage » accepta l’invitation de Pierrot à monter avec lui pour rejoindre Desport, destination finale de leur équipée. Pascou était devant, conduisant comme à l’accoutumée à tombeau ouvert, faisant fuir devant lui les mini cooper, et autres smarts, effrayées par le train d’enfer qu’il imprimait à son monstrueux camion. Ils empruntèrent un chemin étrange, faites de détours et de circonvolutions qui firent découvrir à ses suivant des lieux insoupçonnés des faubourgs de Nîmes. L’entrée de l’autoroute apparut, au moment où tous avaient perdu espoir de jamais atteindre quelque lieu que ce soit, perdus pour toujours dans quelque contrée quadri-dimensionnelle oubliée des hommes. Tournant la tête vers son chauffeur, Mitch surpris comme une lueur de soulagement dans les yeux profondément enfoncés dans les orbites de son visage fatigué et have.
« 75% » laissa divaguer ses pensés au fil des bandes blanches qui se poursuivaient de manière frénétique tout au long du ruban de bitume, telles un banc de longues sardines argentées disciplinées. Il imagina qu’elles vivaient en troupeau, que comme les oies sauvages elles effectuaient quelque transhumance vers une destination plus à l’ouest. Un peu comme les anguilles traversent l’atlantique, fraient dans la loire puis retournent mourir dans la mer des Sargasse, les bandes blanches avaient-elles une sexualité complexe ? et à l’instar des éléphants, existait-il un cimetière des bandes blanches ? Il songea que des années auparavant, avec les Jean et les Fabre, lors d’un retour de Colmar, ils avaient, pour tromper leur fatigue calculé la quantité de peinture nécessaire pour délimiter les voies d‘une autoroute. Il ne se souvenait plus du chiffre exact, mais c’était astronomique.Le tirant de sa rêverie, Pierrot lui proposa d’écouter Jumpig jack Flash dans la version de Johny Winter sur l’autoradio de bord. L’interprétation virtuose du chanteur les laissa dans un état de légère déprime. Mais ils conclurent que de toute façon, comme à l’accoutumée, la « patte Undertakers » saurait aplanir les difficultés.
Le groupe se recueillit quelques instants. L’émotion les étreint et une sorte d’angoisse mêlée d’excitation les parcourut inconsciemment. Ils allumèrent une cigarette tout en contemplant le Mas dont l’ombre se projetait sur eux, aidée en cela par les frondaisons abondantes des arbres centenaires du parc. L’entrée de l’écurie qui allait abriter la répétition paraissait minuscule au regard de l’imposante dimension de l’édifice. Il pénétrèrent. La Salle s’ouvrit à eux. Ils en embrassèrent l’espace. Ils restèrent, timides et empruntés, au milieu de la pièce pavée de galets ronds, encore dans la pénombre, éclairée a giorno par le soleil matinal qui baignait l’unique ouverture, décalquant sombrement leurs silhouette démesurée sur l’arrière de la scène, flanquée à gauche d’un long bar de planches, et à droite par la mangeoire de chevaux disparus. L’un des musiciens, plus téméraire, franchit le rubicon en grimpant sur l’estrade. Il en éprouva la solidité du talon, en arpenta la longueur. Sa voix résonna dans le frais silence. Le charme qui les retenait encore se rompit, la salle s’abandonna enfin, comme si elle rendait les armes et acceptait désormais ces intrus : Ils en prirent possession, comme un homme au soir des épousailles fait glisser le dernier vêtement , découvrant le corps frissonnant de sa promise, et d’un geste ample et souple, mais avec infiniment de prudence, pénètre enfin les portes d’un désir longtemps retenu, puis offre sa semence au champ fraîchement labouré (déclama Mitch, sotto voce, décidément lyrique).
« Bon, allez, c’est pas l’tout, mais faudrait y aller les mecs ! » hurla Phil d’une voix de stentor, « faut pas s’endormir, y a du boulot ! ».
Il fallu 20 minutes montre en mains au groupe pour installer la scène, et quatre heures de répétitions pour régler les boutons ! A 10h, les premiers accords étaient plaqués, et la salle rententissaient des roques harangues de Mitch. Catherine était sous le charme. Mitch malgré la pénombre qui nimbait le parterre de mystère, distinguait à quelques mètre le visage extatique de l’hôtesse des lieux. Ses lèvres humides frémissaient au son de la voix du chanteur, sa poitrine, sous le pull léger qui moulait subtilement son corps aux formes parfaites, se soulevait fébrilement, avec difficulté, comme si quelque puissante force la contraignait à lutter contre un évanouissement prochain.
Elle dut s’asseoir sur l’unique chaise de l’auditoire privilégié de ce showcase improvisé. Un souffle de vent passa par la porte restée ouverte, et « le Sage » vit que Catherine reprenait vie au contact de la brise espiègle qui baignait son corps, en caressait la peau moite sous l’étoffe des vêtements.
La musique s’apaisa, les décibels s’éparpillant au grès de la brise, faisant place au silence ponctué de rares commentaires des musiciens.
Catherine se leva enfin : « BON ! Tout le monde veut du pastis ? »
Il était 10h10.
Poésie de l’instant.
Magie du lieu.
Les hommes firent groupe autour de la Maîtresse de céans, devant le bar. Le liquide ambré se troublait au contact de l’eau que Catherine avait puisé à la force de ses bras au puits qui abreuvait encore la maisonnée même au pire moment de la sécheresse. Les hommes se troublaient au contact de Catherine, que kéké avait épuisée à la force de ses bras, lui qui s’abreuvait souvent dans la maisonnée, et pas qu’au pire moment de la sécheresse.
« Allez, on y retourne ! » Phil d’un bond, marqua le tempo de ses baguettes chinoises et courut vers l’estrade.
Poésie de l’instant.
Ils le suivirent, à allure plus modérée.
La séance reprit, égrenant les morceaux comme les perles d’un chapelet laïque. Ils n’entendirent même pas l’hôtesse qui partit en voiture puis revint. A leur insu, elle était allé se ravitailler au village proche, et ramenait de la charcuterie, du vin, du fromage et des fruits. La surprise était totale ! l’ambiance rappelait celle de Milou en Mai, un de ces moments de campagne, simple, convivial. Le pain partagé, qu’on brise sans complexe, la saucisse sèche coupée d’un geste sûr, le pâté dont on tartine généreusement de larges tranches. Le fromage qui s’abandonne au soleil de midi. Le vin généreux de nos terroirs, et les abricots dont la peau veloutée et la forme oblongue rappelle le contact duveteux de, euh.. Mitch sentit qu’il s’égarait à nouveau dans des contrées lointaines, mais il se sentait bien, en phase avec l’univers, surtout cette partie de l’univers située dans la région de Bordeaux, là ou les vins ont de la cuisse et des jambes. Une cuisse sur l’épaule droite, une cuisse sur l’épaule gauche… Mitch sourit intérieurement en se souvenant de cette histoire racontée la veille par Jésou. Mitch avait l’esprit de l’escalier, il sautait volontiers d’une idée à l’autre, les caressant toutes, n’en aimant aucune. Il s’adossa à la chaise. Ferma les yeux. Il pensa que bientôt Phil allait donner le signal de la reprise, et que tous attendaient ce moment avec malice, puis qu’après ils travailleraient à nouveau, partageant des joies pures et des détresses profondes. Enfin ils replieraient bagages puis s’endormiraient sur le chemin du retour, dans les voitures, leur somnolence habitée de concerts et de foules.
Un samedi à la campagne….
lundi 25 juin 2007
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