Il y avait une conjonction favorable : outre le fait que n’avions pas joué en public depuis six mois, il convenait de marquer de notre empreinte la prophétie des Mayas prédisant la fin de notre monde sous une pluie de météorites tueuses et conclure en musique cette année 2012 en rassemblant le maximums d’amis autour de nous. Ainsi plusieurs cercles pouvaient se rejoindre et se mêler : la bande à Eric A., les membres de la Compagnie du Cercle, les familles, les enfants et leurs amis.
Pour cela il nous fallait une grande salle, pas chère. C’est Poun qui reçut mandat pour démarcher auprès de Thibaud et Domi les propriétaires du Callejon, bar à vins et tapas proche du Carré d’Art. On conclut un accord : mise à disposition de la salle et fournitures de bière et vins à prix léger, pas de rémunération ni participation pour l’orchestre. L’éventuelle restauration des participants serait assurée aux conditions habituelles à l’étage.
Ah oui : vous ai-je précisé que la salle mise à disposition se situait au sous-sol ? Ce détail à son importance à plus d’un titre.
Tout d’abord l’installation du matos. Nous nous retrouvâmes la veille au soir, vers 21h. Poun, Pierrot et Phil avaient pu avancer leurs véhicules devant l’entrée des fournisseurs. On organisa une noria pour trimballer tout le bric à brac à travers un étroit couloir puis un escalier escarpé encombrés de casiers à bouteilles et autres consommables. Suivit le traditionnel branchement du matériel avec son cortège de jurons et la nervosité électrique propre à ce genre de situation. Pour l’occasion nous testions nos nouveaux retours : trois anquestres de la taille d’un frigo américain individuel (et leurs câbles – je hais les câbles) à caser sur une estrade au gabarit proche de celui des sentiers de terre escaladant à flanc de rochers les pics enneigés de la Cordillière des Andes !
L’estrade, donc, n’était pas idéale. Longue, mais très étroite, à peine deux mètres de profondeur et de plus défigurée par un large pilier aux trois quarts de sa longueur de sorte que suivant l’endroit où se tenait le public, le piano et la basse étaient dissimulés aux regards. On objectera que ne pas voir le bassiste était un moindre mal, cependant je trouvais très dommage d’inclure dans cette occultation salvatrice notre pianiste-mascotte, Lololalolo. On installa la batterie au centre, et on distribua de part et d’autre les musiciens : clavier et basse à droite, les deux guitares et le sax à gauche. Je m’insérai dans le dispositif, me glissant entre la batterie, le manche de la guitare de Pierrot et les deux bains de pieds (et tout le fatras de câbles dans lequel je ne manquai pas de m’emmêler les pieds à de multiples reprises pour éviter de me prendre la grosse caisse dans l’entrejambe).
Et puis On fit la balance : au bout de quelques minutes nous sûmes avec une certitude fataliste que nous aurions un son de merde ! Nous jouions dans une cave aux plafonds hauts et voûtés, aux murs parfaitement lisses, dont la superficie avoisinait la centaine de mètre carrés : l’idéal pour favoriser échos et réverbérations en tous genres. Dès les premières mesures d’Unchain My Heart, nous fûmes agressés par une purée sonore, comme si nous jouions dans le choeur de la cathédrale de Chartres… ou depuis l’intérieur du foudre de la cave Byrrh à Thuir (d’une capacité de 1000200 l). : Catastrophique pour un groupe de rock sans ingé-son. Ceci dit, même l’ingé-son des Rolling Stones n’aurait pas pu faire grand choses au vu du matériel de mixage à notre disposition. On tenta de bricoler ici et là, sans résultats probants, d’autant que nous manquions de branchements pour tous nos appareils et que les micros partageaient leur entrée sur la table avec les instruments. Ajouté à cela la rapide confusion au niveau des câbles (9 câbles non repérés, dans la pénombre : va donc te rappeler si telle prise est bien celle du piano ou celle du micro du chanteur ?!). Vous ai-je dit que je haïssais les câbles ? Un cauchemar !
Nous parvînmes au bout d’une petite heure à un équilibre précaire dont nous avions la certitude que de toute façon il serait rompu lors du concert dès que la salle se remplirait. A se demander pourquoi on s’escrime chaque fois à travailler sur le son lors de l’installation ! On devrait se contenter de raccorder tout le fourbi et se casser. Ca éviterai épuisement, acouphènes et regards mauvais ; on se sépara un peu déprimé, comme souvent finalement !
Le lendemain nous avions rendez-vous à 21h. J’attendais dehors en fumant une cigarette tandis qu’un à un les musiciens arrivaient. Un rapide check-up de mon mental m’apprit que je n’éprouvais aucune angoisse. Après une vingtaine de concerts, effectués parfois dans des conditions rocambolesques, je décidai que rien de gravissime ne pouvait nous arriver. Si l’on faisait abstraction, bien sûr, de la fin du monde imminente. Mais là il s’agissait d’une circonstance supérieure sur laquelle malgré notre bonne volonté nous n’avions que peu de prise. Nous avions répété. Les morceaux étaient connus, cadrés, rodés. Seul le son nous handicaperait, mais là aussi, nous n’étions pas maîtres de notre destin en la matière.
Je rejoignis la cave par un large escalier de pierre que je comparai mentalement à l’échelle meunière empruntée la veille lors de l’installation. Je me fis la réflexion que le public avait de la chance et me demandai si je devais rapporter cette observation dans mon introduction pour le morceau d’ouverture « everybody needs somebody » en insistant sur la précarité des intermittents du spectacle et les conditions épouvantables de leur travail. J’écartai cette idée rapidement en saluant au bar Eric A. dont le visage orné d’une superbe moustache lui donnait un air fringant et gouailleur de bateleur de Paname tandis qu’il jouait avec le levier de la pompe du fut à bière et me tendait un verre perlant de condensation. A ses cotés Philou trônait, haranguant une foule déjà dense. Coté bar, nous étions parés : avec ces deux énergumènes à la manœuvre ça allait dépoter !
Je saluai les connaissances, échangeai des propos aimables, accueillis tel et tel avec l’assurance d’un Maître de cérémonie que je n’étais pas. Je me dirigeai vers l’estrade, me faufilant de profil entre les pieds de micro, sautillant pardessus les pédiluves (je veux dire « les bains de pieds » autrement dit « les retours » qui permettent en théorie à l’orchestre de s’entendre) pour regagner mon poste pendant que mes comparses reprenaient possession de leurs instruments. La salle continua de se remplir durant nos essais de sons. Nous constatâmes, mais c’était une évidence, que le son n’avait plus rien à voir avec celui de la balance de la veille. Comme quoi dans ce monde changeant il est bon de pouvoir se raccrocher à des faits intangibles : Le son des Undertakers jamais de régler par avance tu n’essaieras !
A 21h30 le bar nous fit signe. Je fis le tour des musiciens pour un rapide « check », quelques paroles d’encouragement dans le style « on les aura, courage ! », puis ce fut l’échange des regards et les rodages de cordes, de anche, de peaux et de touches.
Quatre coups de baguettes du Carré et le tempo était réglé pour les premières notes des Blues Brothers. Je lâchai mes paroles de bienvenue après l’intro du Sax Symbol, enchaînant fluidement sur une logorrhée spontanée dont seul mon inconscient a le secret. Mon esprit prit de la hauteur, contempla la scène : les musiciens, étaient en place, le public était réactif, le Carré semblait à l’aise, après un dernier coup d’œil approbateur je regagnai mes pénates à l’intérieur de moi-même repris les commandes de mon corps que j’avais laissé en pilote auto à dégoiser sur l’amour et le fait qu’on a tous besoin les uns des autres : Le concert était sur les rails !
Je ne vous ferai pas l’analyse musicologique de chacun de nos titres. Il y en a eu 22 ! Décortiquer chacun me prendrait une page A4 supplémentaire ce qu’en ces temps de crises d’aucun jugerait dispendieux. Notons qu’il y eut des dérapages des uns et des autres, et je n’en fus pas exempt, mais nous appliquâmes à la perfection la consigne passée en début de soirée : Souple ! Il n’y eut pas d’affolement ni de flottement, chacun compensant à mesure, sans heurt les hésitations ou les plantages de tel ou tel. Souple vous dis-je ! A défaut d’être totalement propre et carré, notre prestation fut souple ! Quelques indications tout de même : Nous fûmes excellent sur les reprises, mais je nous trouvai moins à l’aise sur certaines compos : peut-être était-ce dû à un trop grand contraste de style avec les hits planétaires qui les précédaient ? Je pense en particulier à rock’n brock, chupa chupps et juke box qui me parurent un tunnel interminable entre La Fille du Père Noël ( et mon duo avec Lolo) et Sweet Home Alabama ; mais Solex, Docteur Bonheur et EcoloSong furent parfaits à mes oreilles. Difficile parfois pour moi d’effectuer la transition entre les standards éprouvés et anglosaxons, très rythmés, avec nos compos forcément plus personnelles. Je remarquai aussi que nous mimes la surmultipliée pour interpréter plusieurs titres : ainsi Hit The Road et Le Blues du Dentiste furent expédiés promptement ! Nous négociâmes intelligemment l’enchaînement whatever You Want/ Should I Say Should I Go.
Je m’étais promis depuis tous ces concerts que nous avons donnés, de dire au moins une fois cette phrase mythique : « Cette chanson je vais la chanter pour toi ! » En pointant le doigt vers une personne du public. Pour Love in Vain – LE slow du concert, je cherchai des yeux (aveuglé par les deux mandarines placées la veille par Philou sur le mur qui me faisait face), et jetai mon dévolu sur ma belle sœur Charlyne. A l’énoncé de ma phrase culte, j’eus le plaisir de voir son regard s’allumer et son visage s’épanouir, et je pris plaisir à chanter pour elle, mon regard rivé dans ses yeux brillants comme ceux d’un enfant découvrant ses jouets aux pieds du sapin. Je notai d’ailleurs la participation active du public, qui manifesta son plaisir en marquant le tempo du corps et des mains, applaudissant, bissant, avec une spontanéité qui me remplit de bonheur ! Je repérai un groupe de filles : Myriam la Sœur du Leader (ce doit être de famille ce don d’entraîner les groupes) en tête, qui se déchaînèrent durant tout le spectacle. Moi-même je fis quelques incursions sur la piste dans la mesure où le câble d’un mètre cinquante de mon micro m’en laissa la possibilité (vous ai-je dit déjà que je hais les câbles ?), je m’agenouillai, pris des pose de chanteur, et vint jusqu’à m’allonger sur le dos et battre des pieds sur Bête de Scène.
On fit la pause après I Feel Good. Onze titre étaient passés, et comme à l’accoutumée j’avais eu le sentiment que le temps s’était contracté et que toute cette séquence avait filé à la vitesse de l’éclair. Pendant l’entracte nous passâmes parmi les gens, et chacun d’entre nous eut la satisfaction de recueillir les félicitations du public pour notre show. Ils saluèrent la spontanéité, l’énergie et le plaisir que nous avion su leur communiquer. Nous entendîmes aussi, au travers des commentaires de Jako qui en fut le porte parole, les critiques concernant notre son, qui nous desservait. Jako nous suggéra d’acheter le plus rapidement possible une vraie table de mixage, et pourquoi pas au passage aussi un ampli de scène, un égaliseur et un compresseur ! Hubert B. comme à chaque fois fut plus direct, et n’usa d’aucune circonlocution pour fustiger notre « son de merde », menaçant de ne revenir nous écouter que lorsque nous aurions une sono digne de ce nom. Jérôme I nous traita de fainéants : « Vous avez un son ( !) Vous devez faire au moins six concerts par ans, alors bougez-vous les doigts du cul, et faites le tour des bars ! » Exhorta-t-il plusieurs d’entre nous. Mais le Kéké nous réconforta proclamant haut et fort que « c’était génial » et qu’on avait encore fait des progrès. Il nous promit un concert dans la chapelle du mas au Sambuc et un autre dans la salle de Desport. Qu’il est doux à l’oreille et au cœur d’entendre des compliments !
La reprise fut un peu longue à venir : emportés par les conversations, grisés par ce succès d’estime, nous traînâmes un peu trop longtemps au bar et à la terrasse du restau pour fumer une cigarette et refaire le concert. C’est au bout d’une bonne demi-heure que nous relançâmes la machine. Dans cet intervalle plusieurs personnes avaient déserté la piste pour aller se restaurer ailleurs.
Pierrot et moi eûmes une petite frayeur sur l’entame du Blues du dentiste lorsqu’après son tour d’intro il attendit que le Barde entre en piste. Au lieu de marquer le rythme à l’invite de Pierrot, Jésou se pencha vers lui, sur le ton de la confidence et lui murmura (en fait il cria) « Pierrot : A 9h, mate la petite blonde ! » Pierrot du relancer deux fois l’intro avant que notre Jésou veuille bien détourner les yeux de sa groupie virtuelle et faire le job. Cependant il fut impérial sur Love In Vain et contribua à la charge émotionnelle qui se dégagea de notre interprétation.
Nous déroulâmes le reste de la playlist sans fait notable, si ce n’est que ces titres éprouvés coulaient sans difficultés. Je présentai les membres du groupe sur le dernier solo de Caroline, remerciai le public, faisant mine de glisser le micro sur son support et m’éloigner, mais le public n’en eut cure et scanda le rappel. Il le fit par cinq fois avant qu’à bout de munitions nous ne déposions les armes et rendions leur liberté aux aficionados. Nous n’avions jamais joué aussi longtemps.
L’animation musicale fut désormais assurée par l’iphone d’Hubert puis par le duo improvisé Philou/Myriam qui parcoururent en tous sens des bribes de standards de la variété française, mais nous étions encore dans notre monde, il ne s’était pas écroulé, et nous le colorions des souvenirs déjà construits de cet instant suspendu dont nous venions de faire l’expérience, parcourant jusqu’à satiété les temps forts du concert, étrangers au vacarme ambiant, pelotonnés dans notre douillette bulle musicale dont les fines parois ne se dissolvèrent que plus tard sur la terrasse du restaurant, en douceur, comme on se réveille d’un rêve particulièrement agréable.
Après un dernier café nous quittâmes la salle vers 1h, repus de plaisir, épuisés par ce marathon musical, après que j’aie distribué des exemplaires de l’affiche du concert à mes valeureux collègues et que chacun y ait apposé sa signature dans une séance d’auto-dédicace surréaliste.
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