Il est onze heures ce mardi matin de fin décembre et je suis au milieu d’une foule dense de blouses et tuniques blanches. Comme les autres j’attends mon ministre de tutelle, l’onctueux Xav, ainsi que son patron Nico et la belle Carlita. Dans ce grand hall du centre hospitalier Henri Duffaut à Avignon, on se croirait dans une de ces ultramodernes gares tgv, vastes et propres, impersonnelles, bruyantes, effervescentes, témoins hightech de l’industrieux savoir faire français dont nous savons si bien présenter les rutilantes réalisations aux quatre coins du monde, avec une prédilection pour les plus démocratiques d’entre eux.
On se presse, on se rassemble, on ironise et on plaisante. Il y a là des directeurs, des chefs de bureau, des cadres, des médecins, et quelques agents triés sur le volet dont la fine fleur des partenaires sociaux. Je suis abordé par une dame toute pimpante qui officie dans les bureaux. C’est une de ces petites gens, dignes dans la modestie, comme les aime notre président. Humble et laborieuse, elle est une des indéfectibles mailles du tissu administratif français. Elle porte sur ses épaules des décennies de bureaucratie, elle en a fait sa culture, son mode de pensée. Inconditionnel soutien de la hiérarchie, elle est toujours prête à accorder sa confiance à ce petit homme si plein d’énergie, si méritant, qui se donne sans compter, luttant contre les éléments contraires pour maintenir contre vents et marées la frégate France sur le cap de la croissance. « Mon Dieu s’exclame-t-elle, je suis tout émue de le rencontrer, il fait tant de choses pour nous, les gens qui se lèvent tôt !». Dans un premier temps je souris, en connivence avec ce que je perçois comme un second degré à peine appuyé. Et puis je me rends compte que non, elle me parle sans ironie, avec conviction. Miséricordieux je n’en rajoute pas, je me fais évasif et veule, tout en m’éloignant imperceptiblement.
Mais là bas sur le parvis, au milieu des casquettes et des costumes sombres, des blouses empesées des mandarins madrés et flagorneurs, on s’agite : le cortège présidentiel s’approche, précédé des estafettes motorisée. Au milieu des ronds de jambes et des sourires obséquieux, Il arrive, tout sourire, suivi de sa charmante épouse. Après avoir salué les huiles il plonge dans la foule acquise et s’y baigne avec volupté, serrant les mains à la volée, distribuant paroles et encouragements tandis qu’à coté Carlita du haut de ses talons plats qui la maintiennent au gabarit de son homme perché sur ses talonnettes comme un berger des landes sur ses échasses, minaude en inclinant la tête et agite la main façon Miss France, toute gentillesse déployée ainsi qu’une goélette filant vent arrière sous les alizés.
Alors que je filme l’événement avec mon photophone, « pour la postérité » je me prends à rêver et m’abstrait quelques secondes de cette effervescence. Que ressent cet homme en cet instant ? Éprouve-t-il cette grisante sensation de la scène médiatique, a-t-il cette conscience aiguë d’être le point de convergence des regards, des attentions, des intérêts, des allégeances ? Ou bien n’est-ce pour lui qu’une re-présentation de plus, une obligation professionnelle qui ne lui procure plus aucun frisson de plaisir ? Peut on se lasser de ces manifestations de ferveur, perdre le contact avec la réalité, s’isoler dans un monde artificiel et reclus, se brûler aux feu du pouvoir, s’user à l’abrasion des honneurs ?
Ceci me ramène quelques jours en arrière. La soirée au Fox Taverne où nous avons donné notre concert. Comme c’était bon, puissant, entêtant, enivrant d’être sur une scène et de sentir à mesure l’émotion gagner l’assistance.
Le pari n’était pourtant pas gagné. Il s’agissait de proposer notre répertoire à une assistance jeune, venue là pour faire la fête, bien loin d’être acquise à notre cause. Le lieu, le Fox Taverne, est l’endroit branché du moment. Comme nous l’avouait un peu incrédule Jean Christophe l’un des associés, qui nous avait déjà accordé sa confiance du temps de l’Oxbridge : « on n’a rien compris ! C’est devenu Le lieu branché de Nîmes ! Les jeunes se retrouvent ici, on ne sait pas bien pourquoi, et ça fait neuf mois que ça dure… » « Rends-toi compte, me confia-t-il en riant, on est en train de dépasser les deux mille amis sur FaceBook ! ». « Ouahouh » commentai-je admiratif, moi qui ne comptabilise qu’une vingtaine de contacts au bout de deux ans d’activité intense.
Dans ce contexte je fus surpris quelques heures auparavant, attablé avec mes condisciples du mythique UFR, de ne pas éprouver tant de stress que ça. Une légère tension bien sur, mais rien d’exagéré. Rien en tous cas qui ne puisse être géré au moyen de quelque adjuvant alcoolisé.
L’installation sur la minuscule scène de quatre mètres carrés s’était effectuée de manière plutôt fluide après que nous ayons pu nous garer juste devant le bar, franchissant les bites automatiques protégeant l’accès aux rues piétonnes avec l’assurance de pop stars confirmées. La noria des matériels divers avait été rapide et le patron avait prié des clients installés sur la scène transformée en alcôve cosy de bien vouloir céder la place. Une fois les meubles déménagés nous avions pu serrer nos instruments sur la légère surélévation de l’estrade lambrissée et faire nos réglages sous les efficaces indications de Jean Christophe.
Nous étions arrivés assez tard car peu d’entre nous avaient pris leur après midi, c’est pourquoi la fin des réglages, vers 20 heures, coïncida avec la collation servie par le Fox. Heureusement lors de notre rendez vous chez les Smith pour le chargement des camions, nous avions dégusté quelques larges crêpes qui nous calèrent efficacement l’estomac car le repas anglais ne fut pas aussi copieux que lors de nos derniers rendez vous.
Après avoir salué la mère d’un ami de mon fils Vincent, laquelle était venue tout exprès sous les conseils de son fils pour nous écouter, je rejoignis mes amis à notre table.
Outre une bière et des verres de vins, on nous apporta un grand plat de charcuteries et des parts de fromage de hollande. Certains d’entre nous n’y prirent pas garde, considérant que c’était sans doute l’entrée d’un festin à venir, cependant une fois le plat nettoyé il fallut nous rendre à l’évidence : il s’agissait là du plat de résistance. Et ce n’est pas le dessert chocolaté en forme de tarte parfumée à la fraise Tagada qui infléchit positivement cette première impression.
Comme à l’accoutumée, nos amis investirent les lieux à mesure que la soirée s’installait. Le Kéké, Les Richebois, les autres Richebois, les Labeaune père et fils, Notre Chroriste Honoraire, Membre Fondateur Le Baou de Camplaniais, le Dieu-KreaX et de Dieu KreaX : la femme, les Thevenon, les frères siamois de la propreté Hub et Eric, ainsi que des amis d’enfance musiciens du batteur, nos épouses et maris respectifs, nos mères et nos enfants. Parallèlement la salle se remplit d’inconnus de tous âges. Le niveau sonore s’accrut, le bruit des conversations recouvrant progressivement le programme musical ambiant. L’atmosphère chaleureuse d’un pub s’installait.
Jean Christophe m’avait abordé peu de temps auparavant, m’indiquant l’heure de début du concert, et définissant une, voire deux pauses afin de permettre aux clients de déguster les bières, whiskies et shooters proposés à la vente.
D’une manière quasi informelle, après un léger signe vers le bar, sans trac ni solennité, presque par hasard, comme de vieux soldats blasés partent à l’assaut de la citadelle sans se formaliser de la crucialité de l’instant, sur un dernier échange de regards entre les uns et les autres afin de s’assurer que chacun était prêt, le Carré envoya la sauce.
Et je compris rapidement que cette sauce-là allait prendre et que cette soirée laisserait loin derrière, nos meilleurs concerts. Car non seulement l’ambiance était au rendez-vous, mais aussi nous étions au sommet de notre forme. Le son notamment, de l’avis de tous, ne fut jamais aussi bon, piloté en temps réel il est vrai par le vigilant KreaX et l’épisodique Hub.
Rien d’original dans notre programmation musicale. Notre répertoire habituel, sans nouveauté aucune si ce n’est un habillage cosmétique différent de deux de nos titres : Oublie et Le Cochon dont le début est parlé.
J’avais fait part à l’un de nos amis de mes regrets quant à cette absence de renouvellement mais celui-ci avait dissipé mes craintes de manière assez simple : « Tu sais me dit il, en ce qui vous concerne vous avez l’impression de toujours chanter la même choses, mais pour nous qui assistons à vos concerts, au contraire nous sommes contents de réentendre des titres qui nous plaisent. Quand on va voir une vedette sur scène, c’est avant tout pour écouter des morceaux qu’on a dans la tête, et pas seulement pour découvrir des nouveautés.
C’est donc relativement rasséréné que j’entrepris mon boniment et Attaquai avec notre très rodé EcoloSong.
La première partie fila comme dans un brouillard. La longue déferlante qui nous porta tout au long des huit premiers titres nous drossa jusqu’à l’entracte, nous abandonnant dans un état d’exaltation, comme si nos corps étaient surchargés d’endorphine au terme d’un sprint olympique. J’eus le sentiment, aux regards de l’assistance, aux commentaires et encouragements de tous, que nous avions su captiver notre auditoire au-delà de toutes nos espérances. Les conversations à l’entracte firent écho à ces impression, ces sensations brutes, leur donnèrent forme, et nous confortèrent dans notre plaisir et notre certitude d’avoir fourni ce qu’il fallait.
D’habitude, après le succès de la première partie, notre frêle esquif se fracasse sur les récifs de la seconde, désorienté qu’il est le plus souvent par une perte de repères due à une consommation mal maîtrisée de stimulants. Mais cette fois-ci nous avions appris la leçon, et chacun sut mettre de la modération dans l’étanchement de sa soif. La reprise fut donc du même niveau de qualité que la première ce qui contribua à consolider l’emprise que nous avions sur le public. Nous l’avions conquis, nous sûmes le garder et lui donner encore du plaisir.
Même les problèmes techniques dus à des coupures d’électricité n’eurent pas de prise sur notre prestation. Nous avions décidé de faire une deuxième pause, et comme par magie les plombs sautèrent opportunément pile poil au bon moment. Pendant qu’au bar on s’afférait pour trouver l’origine de la panne, Nous terminâmes le morceau en duo batterie-voix, en acoustique sous les ovations des clients. Cela permit une deuxième vague de consommation très profitable au Fox. Une fois le courant rétabli nous conclûmes notre tour de chant par des reprises bien rythmées, dont les Clash et leur God Save The Queen sous l’hystérie de certains participants.
Il y eut un rappel, auquel nous répondîmes hélas par deux titres déjà interprété faute de munitions.
Cette pénurie relative devrait être résolue pour les prochains concerts, reprises et compos se bousculant désormais et n’attendant que notre assiduité pour s’installer dans notre répertoire.
C’est vers une heure du matin qu’on se sépara : Le concert abordé avec un peu de réticence aussi bien par le groupe que certains de ses fans se révèle le cru le plus exceptionnel de toute son histoire à tous points de vue, l’aspect lucratif n’étant pas le moindre puisque nous avons touché le meilleur cachet de toute l’histoire du groupe !
Mais surtout nous avons prouvé, nous NOUS sommes prouvés, que nous étions capables de jouer devant un public inconnu, sans honte, et avec succès. Ce qu’il fallait démontrer.
mardi 21 décembre 2010
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2 commentaires:
OUF ......Heureusement que tu as fait un rapide résumé
de la soirée mémorable du concert au FOX TAVERNE....
Au moins c'est clair ,net,précis ,propre.
Lebaoulindaquilafaitcourtelaréponse
Ah oui j'allais oublier un détail technique sur la visite de notre cher président et de son épouse Carlita.
Est'il réellement nain le petit Nicolas,toi le syndicaliste qui a touché sa main ?
Autre question: la journée prise pour voir le président est décomptée comme congés ou comme RTT ?
Lebaoulindaenquetedevérité
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