Poussé par le désir, pour une fois, de ne pas publier le compte-rendu de la dernière répète quelques dizaines de minutes seulement avant la suivante, j’étais dans ma studio-mobile, me creusant la tête pour imaginer ce dont parlerait mon compte-rendu de répétition du mercredi 20 octobre. Mes pensées vagabondaient en ce petit matin où le soleil dardait faiblement à travers des nuages de traîne, conférant à la campagne environnante cette lumière horizontale, bleuie par l’ombre des collines, jouant avec les silhouettes allongées des cyprès, puis inondant les plaines de vignes et d’oliviers de ses tons d’or, dans l’une de ces matinées d’intersaison qu’on ne peut qu’imaginer froides même dans le douillet environnement d’un cocon mobile filant silencieusement, comme animée d’une volonté propre sous la vigilance distraite mais confiante de son conducteur.
La radio d’état, comme à l’accoutumée, si l’on excepte les nombreuses journées de grève qui avaient perlées tout au long des dernières semaines, diffusait les infos de huit heures. Le chroniqueur, connu pour ses amitiés dangereusement gauchistes –pouvait-il en être autrement sur cette chaîne- fustigeait un dialogue au point mort dans un contexte de blocage social. Retraites, régimes spéciaux, droits acquis, syndicats, sénat, cortèges, mobilisation des jeunes, lycées, raffineries et dépôts, casseurs… Ses propos rebattus ronronnaient à mes oreilles pendant que je me remémorais les évènements de la veille avec cette acuité particulière que confère la proximité temporelle.
Je n’étais pas le dernier lorsque j’arrivai impasse des Clématites la veille au soir vers 21 heures. Je fus accueilli par Kaïa la beauceronne des Carpates qui de son mufle mutin visita mon recto et mon verso puis se désintéressa de ma personne pour porter son attention sur Lolo, arrivée juste après, alors que je distribuais bises et poignées de main alentours. « Je l’ai dressée à la cigarette ! » commenta Le Barde comme un maître-chien aurait confié que son doberman était dressé au sans papier. « Elle détecte ceux ou celles qui ont fumé en douce»... « Tu as dressé Lolo à la cigarette ? », questionnai-je, faussement ingénu, « Pas Lolo : Kaïa » précisa Jésou faussement navré.
On se congratula : trois semaines d’abstinence, sans un faux pas c’était un exploit ! A un paquet par jour, quelque chose comme 400 cigarettes économisées par personne. une certaine fierté nous envahit : la force de caractère, la volonté tenace, la pugnacité et le refus de tout compromis face aux sollicitations extérieures dont chacun de nous faisait preuve nous confortèrent dans l’idée que nous ne devions pas abandonner en si bon chemin, et que, c’était certain, une grosse fête méritait de marquer d’une pierre blanche le premier mois sans tabac de notre valeureux groupe.
Sur ce nous descendîmes à la cave. Tandis-que je négociai l’étroit et abrupt escalier puis la trappe d’accès à la salle, baissant la tête et voûtant le dos afin de ne pas labourer sur l’angle du linteau de la porte le fin et fragile cuir de mon crâne nu, je fis remarquer à Pascou combien désormais l’atmosphère était agréable, débarrassée depuis trois semaines des remugles fétides de la vieille cigarette. « Au moins, si on doit chercher une satisfaction à tout ça, on doit se réjouir que l’air soit redevenu respirable » « ouais c’est bon pour notre santé » approuva l’Ultrabassiste. « Ah ça, on va crever d’ennui, mais en bonne santé !» ironisa le Barde : mes triglycérides, mes transaminases, mes gamma GT, mon cholestérol, mon albumine, mon urée, mon sucre, ma formule sanguine, ma surcharge pondérale, ma prostate : depuis que je fais le régime, que j’ai arrêté l’alcool et la cigarette, et que je me suis mis au vélo, je fais l’admiration de mon généraliste !
« Allez, pas de pensées négatives ! », le coupa notre bassiste. Il exhiba un sac et en sortit une bouteille de San Pellegrino et un pack de boites de coca : « ce soir c’est la fête !» On va se faire plaisir avec quelques sodas. « Ouuuuuuhééééééé » approuva le Leader en mimant une holà : « Je ne sais pas si c’est la chaleur ou l’émotion, mais est-ce que ce n’est pas trop de bonheur, d’un coup ? ». Pendant que je servais les verres à la ronde, les uns et les autres accordaient leurs instruments et réglaient leur son : le joyeux brouhaha de début de séance envahit la SJM.
La répétition fut à bien des égards intéressante. Après le strict professionnalisme des deux ou trois séances précédentes, j’eus le sentiment, était-ce à cause des bulles, que cette session fut plus ludique. Ainsi le piano anima agréablement « Alabama », mais aussi, et ce fut plus surprenant « Proud Mary ». Sur la suggestion de P., Lolo tira de son clavier des sonorités de trompettes, dont elle parsema le titre avec une verve communicative. A certains moments j’eus l’impression qu’un groupe de mariachis s’était joint à nous pour un bœuf très latino autour de ce song sudiste. « Oublie » et « Le Cochon » avec leur entame quasi acoustique et leurs furieux développements nous communiquèrent leur énergie, les reprises furent enlevées, notamment Jumping Jack Flash qui retrouva sa ponctuation au tambourin grâce à Lolo qui le temps d’une chanson se prit pour Cybèle, mère de tous les Dieux qui selon Homère « aimait le son du tambourin et du crotale » ( !). L’éternel « Ecolosong » et son acolyte revendicatif « ProtestSong » furent interprétés tambour-battant avec une rage guerrière. Le Leader était en forme, ses solos s’en ressentirent, qui furent excellents dans la plupart des cas, même quand nous accélérâmes Alabama au delà du raisonnable. Nous avions un besoin potache de nous défouler et nous ne nous en privâmes pas, au risque parfois de déborder un peu dans des fou-rires incontrôlés, quelques approximations et outrances comme au bon vieux temps. L’inventivité l’emporta sur la rigueur, « Il m’a semblé qu’on était à nouveau au Délirium Tzigane » commenta le Carré après un morceau particulièrement déjanté et approximatif. Et ma fois c’était bien sympathique, ce petit brin de folie qui traversa la nuit.
Au final ce fut une très agréable soirée, qui nous prouva s’il en était besoin qu’il n’est pas nécessaire de s’évader dans des paradis artificiels pour éprouver du plaisir. Alcool, cigarette, autant de prothèses inutiles, de leurres qui obscurcissent, voilent, travestissent la réalité, donnent une illusion d’aisance factice, de complicité artificielle, là où seuls la rigueur le professionnalisme et le travail paient. Pierrot notre Leader en convint, levant haut son verre de coca pour honorer cette ère nouvelle, salué les yeux dans les yeux par Poun et l’ensemble des musiciens.
Le partage d’une passion, un peu d’eau gazeuse et de coca, tel est le secret des UFR dans leur quête hebdomadaire du plaisir.
samedi 23 octobre 2010
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1 commentaire:
je suis surpris, admiratif, estomaqué,... même incroyablé !
serait-il possible de faire passer Kaïa dans les chiottes de tous les joueurs du groupe ? SVP
kéké
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