Je reconnais que depuis le début
de l’année j’ai été avare en compte-rendu de répètes. Toujours ce récurant
problème de collisions temporelles entre les activités extramusicales, qui
bizarrement occupent la majorité de mon temps quotidien, et mon appétence pour
ce blog et son entretien de chaque jour. Vous me répondrez que le temps, si on
en a le réel désir, ça se trouve, et que le prétexte avancé plus haut
s’apparente à celui de ces types qui affirment qu’ils se mettraient bien au
triathlon –objet d’une passion sans limite- mais qu’hélas les obligations de
tous ordres les en empêchent. Grâce à Dieu, je suis à l’abri de ce genre de
passion.
Il est vrai que je ne suis pas un
homme de routine. Je hais ce qui est répétitif, c’est une source de profond
ennui pour moi. Le compte-rendu hebdomadaire rentre dans ce cas de figure
imposée. En même temps cette routine abhorrée s’impose à moi par d’autre
biais dans ce fameux et hypnotique triptyque inventé par les parisiens :
métro-boulot-dodo. Les jours se succèdent, comme sortis d’un même moule, dans
lequel je dois à mon tour me couler, anesthésié par un défilement de plus en
plus stroboscopique des semaines, ponctuées, comme des bornes kilométriques
entraperçues sur le bord de la route où on file à vive allure, par des
week-ends fugaces. Au mitant de ma cinquième décennie, ce sont des dizaines de
milliers de bornes que j’ai parcourues, avec parfois une certaine lassitude
quant à leur affligeante similitude.
Heureusement, sur un plan
macroscopique, la guerre au Mali, l’enlèvement d’otages en Mauritanie, Psy et
son gangnam style équestre, les essais nucléaires en Corée du Nord, les
exploits du Spicy Boy et du grand Zlatan au PSG, les soubresauts politiques
dans les pays du Maghreb, le dernier bouquin sur DSK, l’Essor d’un comique
populiste en Italie, la démission du Pape, La mort du Commandante Chavez, la récente fashion week, le
scandale fleuve de la viande de cheval transylvanien itinérante et la
réjouissante perspective de manger de nouveau des poissons nourris aux viandes
animales aiguisent et entretiennent ma curiosité naturelle pour les choses du
monde et m’apportent cette variété dont j’ai besoin.
Comment suis-je si bien informé
des news of the world ? Parce que je suis un adepte d’une pratique
grandissante : ATAWADAC ! C’est le charmant acronyme d’une expression anglosaxone : “Any
Time, Anywhere, Any Device, Any Content”. Désormais mes infos je peux
les recevoir en continu : n’importe quelle info, où et quand je le veux, sur
n’importe quel terminal de lecture. C’est la mobilité et la dématérialisation
de l’information qui révolutionnent nos habitudes. Plus besoin de se
contraindre à la grand-messe du 20h pour en savoir plus sur Depardieu et ses
pérégrinations Moldaves : on reçoit de ses nouvelles même aux toilettes :
quel progrès ! Et comme en bon geek et manager éclairé j’ajoute le BYOD à
l’ATAWADAC, même le temps de travail n’est pas épargné par le robinet à info.
Pardon ? Le BYOD ? Oh ! Excusez-moi, je veux parler d’une
nouvelle pratique qui consiste à utiliser son matériel informatique personnel au
travail, qui vient s’insérer dans le réseau d’entreprise. BYOD : Bring
Your Own Device, bien sûr.
Ce téléphone portable qui prend
des allures de couteau suisse, qui vous guide en forêt mais vous indique le
plus proche bureau de tabac, qui prend votre pouls et garde un historique de
tous les lieux que vous avez foulés, qui recueille vos états d’âme et restitue
les moments les plus importants ( !), cet appareil miraculeux d’une
centaine de grammes devient une extension de vous, le réceptacle de vos joies
et vos peines, de vos émerveillements, de vos préoccupations, c’est votre ami,
votre frère, votre confident, votre compagnon d’infortune ou de biture, il vous
monte le chemin, vous ouvre la voie vers un autre niveau de perception, de
réflexion, et préfigure une humanité 2.0 étonnante. Etonnante et
effrayante : un individualisme poussé dans ses retranchements, inclus dans
une socialisation de façade qui frise
l’imposture relationnelle. On se met en scène, on fait de sa vie un spectacle
permanent, on s’expose, on se met à nu sans pudeur, dans une sorte de journal
intime à ciel ouvert, une autofiction permanente dont on ne sait plus
distinguer la fiction de la réalité. Une humanité fantasmatique, des relations
théâtralisées, des milliards de messages insignifiants qui transitent parmi des
pétaoctets d’images sans intérêt au sein d’un incommensurable réseau mondial,
autant d’axones pointant vers des existences dérisoires à l’égo surdimensionné.
Tant de génie, de technologies mises en œuvre, qui concourent à un foisonnement
misérable d’informations inutiles à coups de lolcats et de vidéos monstrueuses
à l’image de ce trentenaire canadien qui pour faire le buzz à endossé 120
personnalités différentes pour monter sur facebook une hystérie autour de la
publication filmée du meurtre puis le dépeçage de son amant asiatique.
Mais qui sui-je, moi qui suis
dans ce siècle, utilisant tous les outils mis à la disposition de multitudes
asservies par le marché, pour me poser en gardien d’une éthique humaniste que
je piétine allègrement par mon comportement consumériste ? Je suis l’un
d’eux, pétri de contradiction, un de ces moralisateurs de comptoir qui
s’enflamme à l’unisson, qui condamne sélectivement, qui censure avec véhémence
mais à travers le filtre de ses préjugés, dont le discernement s’appuie sur des
informations contrôlée, formatées, servies prêtes à digérer par des groupes aux
objectifs mercantiles. Je participe de cette fuite en avant, de cette course
désespérée de neuf milliards de lemmings vers la falaise douloureuse de leur
extinction, entraînés par quelques meneurs déconnectés de la réalité, vivant en
vase clos, à la vue court-termiste, myopes au simple combat du plus grand
nombre pour se maintenir en vie.
Moi qui mets en scène la
laborieuse progression des UFR, tentant de construire une légende là ou
n’existe qu’un défoulement hebdomadaire je viens avec horreur de découvrir la
montagne de temps que j’y ai consacré. Un rapide calcul : si j’estime
avoir passé une trentaine de minutes en moyenne pour chaque message que j’ai
publié j’arrive au résultat hallucinant de 30*1600 : 48000 minutes, soit
800 heures. Je ne parle même pas du temps que m’a pris l’écriture des textes
divers, des commentaires, et les recherches variées sur le net. En fait si
j’avais pris un nègre, je pense que j’aurais dû l’employer à plein temps durant
un an ! Si je compte en gros 45 semaines de répètes par an, durant sept
ans, à raison de deux heures par répète, plus la vingtaine de concerts avec
toutes le manutentions associées, ainsi que les deux séjours en studio pour la
production ( !) des CD, un rapide calcul m’amène à 800 heures de musique. J’ai
consacré moins de temps à chanter qu’à écrire dessus !
C’est toute l’ironie de notre
monde : on passe plus de temps, on gaspille plus d’énergie à parler de la vie qu’à la vivre. Bien sûr pour la paire de milliards de terriens qui ont du temps à consacrer à autre chose qu'à bouffer et pas crever !
On vit décidément une époque
formidable !
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