J’avais les plus grandes inquiétudes concernant « l’homme pressé », l’une de nos nouvelles reprises. Je craignais une certaine confusion dans l’interprétation de ce titre , due à notre impréparation chronique, et surtout je prévoyais des difficultés majeures liées à la longueur du texte qui se déclame comme un rap lugubre plus qu’il ne se chante, dans une tonalité mal adapté à ce que j’appelle pompeusement « ma tessiture ». Ceci dit c’est une constante chez moi : a priori j’ai toujours la certitude que je n’apprendrai jamais le texte, j’ai le constant sentiment qu’aucune chanson n’est adapté à ma voix ! Je ne sais pas comment se débrouillent les auteurs et compositeurs pour à chaque fois pondre des machins inchantables.
La dernière répète, consacrée à cette reprise fut laborieuse. Au bout de la session, bien sûr, après une dizaine de tentatives, les musiciens furent capables de sortir quelque chose de relativement propre, mais de mon coté, et vous devez avoir en mémoire mon précédent compte-rendu sur le sujet, je fus très frustré par ma prestation, me jugeant maladroit, et surtout au bout du bout de mes possibilités. Mais je ne vais pas revenir sur cette épisode, largement commenté déjà.
C’est pourquoi notre rendez-vous hebdomadaire, centré sur I Feel Good , superbement habité par James Brown, ne me laissait rien présager de bon. Passer derrière Le Maître du rythm and blues, ce n’est vraiment pas un cadeau ! Ce mercredi soir j’étais arrivé en même temps que l’Ultrabassiste chez les Smith. Le temps de rassembler le matos de Pascou puis de monter l’escalier montant à la cuisine où chaque semaine nous attend un expresso fumant, nous avions eu l’occasion de partager nos doutes sur notre capacité à nous approprier ce morceau. La partie basse est essentielle dans cette chanson, il y a une double ligne de sax qui charpente l’ensemble du titre, avec la difficulté de respecter un tempo au cordeau, et bien sur l’interprétation vocale doit être à la hauteur pour insuffler un peu d’âme dans tout-ça.
Je ne parle même pas des cris de bêtes qu’il faut pousser en début de couplets, dont James Brown a le secret. Du reste, j’avais passé mon trajet à tenter de les reproduire, avec un bonheur très limité. Il faut dire que ces cris, s’apparentant à des rugissements, doivent anticiper l’entame des couplets, ils doivent être poussés dans le ton, et avoir une longueur calibrée afin de ne pas perturber le batteur qui ne sait pas très bien à quel moment reprendre. Et puis j’ai du mal avec les cris -à mon sens c’est presque une spécialité vocale en soi- ; j’écoute toujours avec admiration et jalousie les grandes pointures du rock se livrer à cet exercice tandis que mes tentatives s’apparentent plus à des miaulements maladroits. J’ai découvert aussi que sur les titres anglais, même les cris doivent être « chantés » avec l’accent, et de préférence pas avec celui de Nîmes !
Jean Paul le Sax-Symbol était de la partie ce soir là, et c’est d’ailleurs en raison de sa présence que nous avions abandonné l’homme pressé, laissant ce dernier reprendre son souffle. Avec beaucoup d’à propos notre saxophoniste intermittent avait apporté une bouteille de boisson ambrée qui contribua à dissiper la tension inhérente à la mise en chantier d’un nouveau titre. Rien que pour cette délicate attention, nous convînmes que sa présence était souhaitable et même nécessaire à chacune de nos répète et que cette offrande devait désormais constituer le sésame de sa bienvenue parmi nous. Il y eut une phase de flottement où chacun y alla de sa ritournelle perso, un peu comme lors des concerts philharmoniques lorsque les instruments s’accordent en une joyeuse et sonore cacophonie autour du La 440.
Au bout d’un moment, chef d’orchestre improvisé, je consultai chacun pour savoir s’il était prêt. Lololalolo écrasa sa cigarette dans un rire nerveux et ce faisant appuya par inadvertance sur la touche du programme automatique qui diffusa illico l’ouverture de la chevauchée des Walkyries dans son adaptation disco, Jésou abandonna les accords acoustiques de SA version de Stairway to Heaven ( il aime bien en entame du morceau du jour, jouer un truc à des années lumières du sujet, histoire, j’imagine, de se détendre et de nous offrir un petit quiz musical avant de passer aux choses sérieuses), le Leader se servit dans l'urgence un verre de coca, rassembla autour de lui ses guitares, ses sax, ses deux harmonica, son clavier de secours et réinitialisa son pédalier à effet quantique avant de chercher à quatre pattes le médiator qu’il avait dans sa poche, L’Ultrabassiste consulta ses notes par dessus le double foyer de ses lunettes et baissa le niveau de sa basse afin de se faire oublier non sans avoir conspué le Leader pour avoir « encore changé » la ligne de basse sans prévenir, le Sax Symbol rajusta le nounours qui obstruait l’orifice de son instrument et suçota sa anche en une caresse labiale particulièrement sensuelle, je saisis fermement mon micro, le Carré d’un bref coup de baguette sur sa caisse claire signifia la fin de la récréation, impassible.
Et là : un petit miracle ! chaque musicien avait travaillé ( !) et connaissait grosso modo sa partie. La première tentative fut presque potable, et les suivantes permirent de régler la majorité des pièges de ce titre millimétré. A la fin d'une session qui me vit crier besogneusement de manière aussi pitoyable qu'une parturiante aphone en cours de césarienne par le siège alors que le placenta refuse de se décoller, nous avions une interprétation très honnête, en tous cas tout à fait présentable en concert surtout sous le coup d’un malentendu. Loin des doutes engendrés par l’homme pressé, dont on ne saurait prédire l’avenir tant sa mise au point semble ardue, La chanson de James Brown nous apparut plus abordable, contre toute attente, et en tous cas nettement plus festive.
Elle s’inscrit de surcroît parfaitement dans notre répertoire, aux cotés des Blues Brothers, de Ray Charles et des Status Quo notamment.
Longue vie donc à ce nouveau né porté sur les fonts baptismaux par des Fossoyeurs plutôt inspirés cette fois-ci.
Hélas, cet élan, cette dynamique qui semblaient animer notre groupe depuis quelques séances pourraient se briser net ce mercredi soir : La répète hebdomadaire est annulé en raison d’une grippe du propriétaire de la SJM, le charismatique Barde à la proverbiale immobilité. Notre enthousiasme ressuscité résistera-t-il à ce coup du sort ? la mécanique subtile de notre machine à rêve se retrouvera-t-elle – par une mauvaise contagion- grippée ? la vie des UFR est passionnante mais parsemée d’obstacles et d’émotions diverses. Saurons nous surmonter nos peurs notre lassitude et nos imperfections pour repartir de plus belle dans une semaine ? C’est le défi hebdomadaire que nous nous lançons à nous même, inlassablement, avec bonheur, depuis cinq ans déjà.
3 commentaires:
La question a peine posée, voilà qu'arrive au grand galop,la réponse que nous espérions tous
La salle JM et son propriétaire étant indisponible ce soir (car l'une et l'autre chargés de miasmes bacteriovirulent) Lolo, dans un de ces élans généreux dont elle a le secret, nous a proposé d'utiliser son espace ludique personnel pour sauvegarder notre rythme habituel de travail
C'est beau c'est grand c'est courageux( de la part de Philou surtout)
C'est donc la mort dans l'âme que nous abandonnons provisoirement la SJM et son propriétaire a leurs souffrances respectives( et les mauvaises langues dont je ne suis pas, diront )et au match de foot de l'OM,pour aller œuvrer ce soir chez les Daisy !
Le chaud meuste gau homme
Un grand ..non un immense BRAVO à notre chroniqueur qui , une fois de plus, m'a régalé de son incomparable prose.
Quel talent !
P.
Merci P. Ton commentaire me fait rosir... Mais ces chroniques ne seraient rien sans la matière qui en constitue la base : c'est à dire You, Me, Them, Everybody (comme diraient les Blues B.) qui permettent à ces lignes de vivre au rythm' et au blues de nos aventures communes et pluri-décennaires. Si je puis me permettre ce néologisme hasardeux pour tenter de rendre compte des années qui nous lient désormais dans ce cadre artistique que nous avons accroché au mur de nos existences.
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