J’écoute tous les soirs France Inter, en rentrant du travail, dans ma studiomobile 107. Notamment une émission d’Yves Calvi, qui s’appelle Nonobstant. C’est un moment passionnant car très souvent il donne la parole à des artistes de toutes expressions. Yves Calvi est intéressé par les motivations de l’invité, mais aussi par des détails très pragmatiques : comment on compose, comment on écrit ou dirige, comment se façonne l’expression artistique quelle qu’elle soit, en bref comment se fabrique l’œuvre ou l’interprétation, et quels sont les ressorts de leur genèse et les difficultés qui ont accompagné leur conception.
Ainsi ai-je suivi avec passion les interviews de Patricia Petitbon et Roberto Alagna. Deux chanteurs lyriques. Je me suis surpris à ralentir afin de mieux entendre et de pouvoir suivre l’entretien jusqu’au bout. Ils font partie de cette catégorie d’interprètes qui n’érigent pas leur art en oriflamme, ni leur personne en Icône, et ont su garder une simplicité rafraîchissante. Bien loin des mondanités et des propos convenus d’une certaine catégorie de saltimbanques élitistes, ils savent retranscrire en paroles simple ce qu’ils ressentent et le partagent sans circonlocutions superfétatoires à type flyfucking. En bref : on comprend ce qu’ils racontent dans le poste !
A quelques semaines de distance ces deux monstres sacrés du Répertoire ont le même regard passionné, humble et presque émerveillé sur leur travail et leur parcourt. Ce qui m’a frappé c’est, en tant que solistes, leur analyse du travail en groupe. Pour eux c’est un bonheur, ils n’envisageraient pas de travailler hors de la présence chaleureuse de l’orchestre. Patricia, à qui Calvi demandait si pour elle l’orchestre était un ami ou un ennemi, a répondu que ce dernier était, définitivement, un ami. Elle n’adore rien tant que jouer au milieu de celui-ci et partager ce qu’elle considère comme une communion. Peu de conflits, un bonheur toujours. Elle a un commentaire amusant concernant la cohabitation avec les musiciens. Elle dit : Parfois, l’orchestre, emporté par sa fougue, joue trop fort. Il ne faut pas oublier, poursuit-elle malicieuse, que nous ne sommes pas sonorisés. Une voix, même celle d’une cantatrice est incapable de lutter contre le flot de décibels que peut dégager un orchestre. Alors quand je vois que je ne m’entends plus, je ne m’énerve pas. Je joue de moins en moins fort. Je ne me fais pas violence, je ne fais pas violence à ma voix. Au bout d’un moment l’orchestre comprend, et joue plus doucement. J’ai aimé cette modestie, et cette sérénité, et cette approche simplissime. Pas de caprices de Diva, du simple bon sens.
Alagna, interrogé de même sur ses rapports avec l’orchestre, explique qu’en tant que chanteur, son but est de servir le texte, et qu’il a pour unique préoccupation que les paroles restent compréhensibles. Pas de ton emphatique, un style minimaliste, qui d’ailleurs fait école, en rupture totale avec les ténors d’antan. Juste faire passer le texte et l’émotion. Et puis parfois on perçoit que l’orchestre, ce qui est compréhensible, joue pour la performance, le morceau de bravoure. Il a tendance à s’emballer. Lui aussi a envie de se faire plaisir et oublie le chanteur. Alors il faut le recentrer sur le fait qu’il joue pour le public, qui doit comprendre l’interprète. L’orchestre est l’écrin, la voix en est le bijou, formule-t-il élégamment. Puisque après tout, s’il y a un chanteur c’est pour faire passer un message. Autant que les gens le reçoivent de manière intelligible.
J’aime assez ces paroles de bon sens.
Mais surtout j'ai été surpris de constater que parvenus à ce niveau de talent, d'expertise, de notoriété, ces deux artistes aient les mêmes préoccupations que moi, à savoir "est-ce qu'on m'entend ? Quelle est ma place dans l'orchestre ? en suis-je un membre, ou bien suis-je extérieur à celui-ci ? et puis au delà de ça, que représente l'orchestre : une entité, un tout supérieur à la somme de ses parties, ou bien un ensemble d'individualités ?" A cette dernière question tous deux répondent catégoriquement que l'orchestre est un organisme vivant, qui a son identité propre, une couleur qui se reconnaît entre mille.
Je faisais tourner ces idées dans ma tête en allant ce dernier mercredi au studio Morrison. En mon fort intérieur je me disais en souriant que si je tentais d’expliquer ces choses simples, mais teintées du regard de l’interprète, je me ferais renvoyer dans mes cordes. "Joue avec une plume dans le cul m'aurait dit Jésou, ça te soulagera !"
Après tout je sais bien que si le Band joue fort, c’est dans l’unique but qu’on n’entende pas trop ma voix. De même que le cuisinier cherche à napper de sauce le produit pas trop frais afin d’en masquer le goût. Il ne le fait pas de gaîté de cœur, ni dans le but de se faire plaisir, mais simplement pour sauver ce qui peut l’être. Par bonté d’âme, par charité chrétienne. Après tout, la solution la plus radicale aurait été tout simplement de me virer et de prendre un vrai chanteur. Ça n’est pas ça qui manque. Mais on est des amis, et ils font avec ce qu’ils ont.
Et je leur suis reconnaissant pour cette sollicitude. D’ailleurs si au début j’avais du mal à « dealer » avec cette réalité, désormais j’ai acquis une certaine philosophie. L’orchestre est mon ami. Je ne lutte plus contre lui. Je fais selon mes capacités. Et puis, contrairement à l’opéra, où la compréhension du texte est primordiale pour suivre l’action souvent complexe de situations antiques et alambiquées ou l’invraisemblable le dispute à l’outrance, nos textes n’ont pas un intérêt suffisant pour qu’on cherche à les comprendre. Surtout dans un contexte rock. Après tout, qui se soucie de ce que raconte Proud Mary ? Ce n’est pas du Bob Dylan. Et encore, CCR c’est du texte classique à coté de Status Quo. Et je ne parle même pas de nos propres productions littéraires !
Ça m’évoque par association d’idée la première partie du concert des SQ : Michael Jones. On ne l’entendait pas. Qui s’en souciait (à part moi) ? De toute façon l’ensemble était mauvais.
C’est fort de ces réflexions apaisantes que je me suis plongé dans l’univers sonore des UFR. Nous avons passé avec un plaisir sans cesse renouvelé notre répertoire en revue, progressant dans nos nouvelles compos, consolidant les vieilles, et rafraîchissant les reprises.
Je regardais Odile à coté de moi, pliée de douleurs auriculaires, sa voix ballottée par les flots jaillissants des watts impétueux dont l’intensité augmentait à mesure que la séance progressait. J’avais de la peine pour elle : Elle n’avait pas écouté Yves Calvi, elle n’avait pas atteint la sérénité qui permet d’entendre la musique des sphères par delà le brouhaha de hall de gare, ni acquis l’humilité nécessaire à un apaisement salvateur dans une ambiance tourmentée. Elle est encore dans l’illusion que le chant puisse avoir une quelconque importance pour les rockers.
Moi j’ai atteint la sagesse. Je fais mon petit truc, je m’abstrais, je m’extrais, je feins, je m’efface, j’esquive, je me mets entre parenthèses. Je me laisse porter, je plie, je me glisse entre deux riffs, entre deux relances, je profite des opportunités qui se présentent, récupérant sous les ponts musicaux, j’évite le son, je l’occulte, je le trie et le sélectionne, n’en retiens que la partie qui me plaît. Je ne l’affronte plus, je le contourne, je prends appuis, je me sers de sa force, Je ne force pas. Je suis bien. Je ne suis pas en souffrance, j’ai intégré les watts, ils s’écoulent à travers mon corps, fluides, ils le traversent, le font rentrer en résonance. Il vibre à l’unisson, je ressens les harmoniques, le boutoir puissant de la basse, les pulsations rassurantes des drums. Sur les berges du fleuve, le long des accords liquides du piano, l’écoulement des cordes de la rythmique, et les cascades bouillonnantes du solo, je participe à l’infini des possibles musicaux. Au bord de l’horizon des évènements, là où un gigantesque trou noir dont la guitare de Pierrot est le centre absorbe et piège les ondes sonores, puis les recrache en un maelström de fréquences hystériques, Jim Morrison se tient à coté de moi et tournant son visage me dit : C’est bien.
Le Groupe est mon ami.
mardi 23 décembre 2008
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1 commentaire:
bravo mitch,tu as tout compris
Au niveau serenité,a coté de toi,le dai lama est un enfant de coeur
A la prochaine repèt je vais te surveiller,je suis sur qu'a un moment ou a un autre,tu vas te mettre en levitation
poun le bonzz
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