Il me vient à l’esprit ce titre des Clash, «The Magnificent Seven »en référence au film mythique de Jonh Sturges éponyme, lamentablement traduit en français par « les sept mercenaires ». Les musiciens de Status Quo ne sont que 5 sur scène. Mais on peut sans grandiloquence les qualifier de « magnificent five » tant leur concert est à couper le souffle. Les guitaristes/chanteurs Francis Rossi et Rick Parfitt, le pianiste Andy Bown, le bassiste John "Rhino" Edwards et le batteur Matt Letley nous ont livré deux heures de musique passionnée, intense, physique, avec une aisance déconcertante pour nous autres, besogneux du rock, englués dans nos imperfections.
Nous arrivons au Zénith de Montpellier vers 18h30, par une soirée venteuse et fraîche. Une petite foule attend déjà devant les entrées closes. Une moyenne d’âge tutoyant la cinquantaine qui nous renvoit en miroir notre propre parcours. Dans la queue peu de jeunes, des conversations tournant autour de sujets graves (le PS, les passifs boursiers, la bulle immobilière..). On cherche du regard les déambulateurs et les fauteuils roulants qui confirmeraient l’aspect vintage de ce rassemblement. En parcourant les abords, on cherche les antennes SAMU, qu’on imagine nombreuses, et leur personnel qualifié dont les organisateurs ont surement pris la précaution de s’adjoindre les services afin de prévenir les accidents de piles cardiaque et autres désagréments d’une population dont la naissance coïncide avec celle de la télévision (en noir et blanc) et le lancement du spoutnik.
Les portes s’ouvrent enfin et laissent s’écouler le flot, à peine ralenti par des videurs débonnaires s’étonnant juste que ces dames aient pris la précaution de ne pas prendre de sac. Ils ne prennent même pas la peine de nous fouiller !
L’entrée du zénith rappelle celle des grands complexes cinématographiques : grand hall bordé de stands où se pressent déjà les premiers estomacs vides. Nous longeons l’échoppe Haggen Dass pour emprunter le couloir qui mène à la fosse. Pour l’heure nous n’avons aucune difficulté à atteindre la scène et prendre position. Sylvie se campe sur ses jambes et organise les rotations. Elle ne bougera plus de là durant toute l’attente du concert. Nous apprenons que la première partie sera assurée par Michael Johns l’ex-guitariste de JJ Goldman. Fort de cette information, nous partons au ravitaillement. La buvette, sans être prise d’assaut, est déjà bien fréquentée et nous mettons plusieurs minutes à commander des hot dogs. Lorsque vient notre tour, il n’en reste plus que 5. Surprenant de constater que l’approvisionnement soit si chiche pour un concert qui va rassembler 4000 spectateurs.
La salle se remplit tandis-que nous attendons Michael. Je regarde la scène. Je devine sous des grandes toiles noires, le matériel des SQ. Devant, plus modestes, les instruments du groupe de première partie.
Michael Johns, accompagné d’un batteur et d’un bassiste, s’avance sur scène. Je ne le reconnais pas tout de suite. Il est plutôt petit, ses cheveux poivre et sel sont coupés courts. Ca démarre. Le bassiste en fait des caisses, prend des postures, arpente les « stages ». Mais la sauce ne prend pas vraiment. Comme nous sommes civilisés, nous applaudissons poliment aux titres enchainés, mais sans grand enthousiasme. Le bassiste, qui vient de Pezenas, tente de nous faire battre des mains, avec un succès mitigé. C’est vers la fin que nous manifestons un peu plus d’empathie. Il fait dire que les trois derniers titres sont des emprunts aux standards du rock. Finalement Johns nous laisse au bout d’une demi-heure. Contrat rempli. C’et un excellent technicien, mais ses chansons sont sans grand intérêt d’un point de vue mélodique, et manquent de rythme, surtout dans ce contexte particulier où nous attendons les princes du boogie. Il lui manque le charisme qui électrise les foules. Ce qu’il joue est « plaisant » mais sans aucune originalité. De plus il est très handicapé par une sono qui ne le favorise pas : on entend à peine sa voix, qui se noit dans l’acoustique des guitares et les martellements du batteur. Des spectateurs lui en font la remarque entre deux morceaux. Johns interpelle la régie pour améliorer le rendu sonore, mais visiblement sans grand succès. Comme le dit Jésou, le son de la première partie n’a rien à voir avec celui du concert lui-même. C’est à se demander s’il n’y a pas une volonté délibérée derrière tout ça. Mais en l’occurrence, avec Michael Johns ce n’était pas la peine de la part des organisateurs, de saboter le son : Il s’en charge très bien tout seul !
Nous profitons de l’entracte pour aller fumer une cigarette, et lorsque nous revenons dans la fosse, nous constatons qu’elle s’est bien remplie dans l’intervalle. Il faut un peu se contorsionner et jouer des épaules pour atteindre le reste de la bande restée en place. Mais rien d’insurmontable. Les espaces restent corrects. Sylvie s’est remarquablement acquittée de son travail de préservation de notre territoire. C’est elle qui organisera durant le concert la noria des filles afin qu’elles puissent se tenir au contact de la scène. Nous patientons un quart d’heure. La tension monte. Sur les trois écrans géants qui surplombent la scène, passent des photos du groupe. En contrebas, dans la pénombre, les formes blanches des amplis de scène se détachent nettement du grand rideau noir qui circonscrit l’espace. Ce sont des Marshall, il y en a 6. La batterie est installée au milieu, à sa droite les claviers attendent Andy Bown ; devant, trois micros se tiennent prêt à délivrer le message des chanteurs. Un machiniste dépose au pied des micros des feuilles blanches sur les quelles on distingue une liste. Sans doute celle des titres de ce soir. Puis la lumière change, les projecteurs s’activent. Derrière la scène on entend des essais de guitare, et on perçoit une accélération des mouvements, quelques derniers « stagemen » en short venant fugitivement vérifier tel ou tel équipement puis disparaissant derrière la scène.
Le noir se fait. Seul un éclairage ultraviolet parcourt la salle. Une note électronique, sourde s’installe puis enfle, imprimant une atmosphère solennelle au lieu. Des silhouette se découpent dans l’obscurité scénique et prennent possession de l’espace. Avec l’éclatement des sunlights qui éblouissent la scène déferle un déluge de son. Nous reconnaissons l’intro : c’est Caroline. Ca y est on est dans le bain, et déjà on sait que la soirée sera mémorable. La scène est très large, on a du mal à embrasser d’un même regard tous les musiciens. Ils sont à trois mètres de nous, et nous découvrons leur visage. Ils sont marqués. On comprend que quarante ans de tournées en ont façonné l’aspect.Rossi semble être celui qui a le moins changé. Il joue avec une étonnante désinvolture, ses doigts caressent les cordes avec une aisance surprenante. L’instrument est une extension du corps mince du chanteur. Ce dernier ressemble un peu à Guy Marchand, il porte ses cheveux en catogan. Il se déplace constamment, joue avec la scène, apostrophe le public, puis s’approche du pianiste ou du batteur pour échanger quelques mots. Quand il part dans des solos, il « meumeume » les notes, son expression s’accordant à la « couleur émotionnelle » de ses variations. Il pleure, il rit, s’étonne, puis redevient sérieux au rythme des accords qu’il plaque et du jeu de sa main droite. Selon le morceau, il cède sa place de chanteur à Parfitt. Celui-ci est plus marqué que son comparse, un peu plus vouté, plus massif aussi, son visage raconte des années d’excès et de galère. Mais sa voix reste intacte, celle d’un Guitar Héro, dont les accents se font lyriques à mesure qu’elle se chauffe et atteint sa pleine mesure. Régulièrement tous se retrouvent autour d’un chorus, instrumental ou musical. Le pianiste prend sa guitare et se joint aux guitaristes. Ils jouent et chantent à l’unisson, développant des harmonies, s’accordant à la tierce pour produire des phrases mélodieuses qui contrastent, telles des oasis au milieu du maelström musical.
Le pianiste est incroyable. C’est un homme mince, au visage impassible. Il porte une chemise immaculée totalement raccord avec sa crinière blanche. Il a une démarche de dandy anglais. Parfois ses traits s’éclairent d’un sourire lumineux lorsqu’il s’approche du bord de la scène et adresse un regard à quelque groupie
C’est d’ailleurs une constante parmi ces Rockeurs, la fraîcheur, le regard juvénile et rieur, un humour potache et le désir d’aller au devant du public et de rentrer en communion avec lui. C’est étonnant. On pourrait imaginer qu’après plus de 5000 concerts au long de ces années, ils se soient blindés, blasés et n’offrent plus qu’un jeu aseptisé au public. Mais au contraire l’émotion est intacte. Ils prennent du plaisir à ce qu’ils font et ils savent partager celui-ci avec l’auditoire. Les trois plus vieux, Rossi Parfitt et Bown frisent la soixantaine. Les deux « juniors » frôlent les quarante ans. Le bassiste, Edwards, semble le plus marqué du groupe. IL est d’une laideur attachante, son facies porte les stigmates d’abus en tous genres. Il arbore une basse futuriste, dépourvue de clés au bout du manche, ce qui lui donne un aspect bizarre, « pas fini ». Au milieu du manche, entre deux frètes, des diodes projettent une lueur rouge. Simple dispositif décoratif, ou élément concourant à quelque réglage ? Toujours est-il que c’est du meilleur effet ! Quand il s’approche de la scène, le « jeunot » semble faire son marché : il pointe du doigt telle ou telle fan puis lui sourit de manière engageante l’air de dire « on se retrouve dans ma loge après le concert, baby ». Il prend des poses théâtrales, puis arpente la scène pour entamer un conciliabule avec le pianiste ou le batteur.
Il se dégage de ce concert une impression de complicité entre les musiciens, de plaisir partagé. Le professionnalisme n’est pas un carcan pour les SQ, mais le ciment qui permet à l’édifice de s’élever. Cette base technique, les automatismes qui sont mis en place, permettent à chacun d’exprimer sa sensibilité sans plus se préoccuper de l’aspect opérationnel. Le soucis permanent qui est le notre de savoir ce que les autres font, et de s’assurer que nous jouons bien ensemble, la concentration qui nous est nécessaire pour jouer chacune de nos compos, tout cela les SQ l’ont assimilé et évacué. Ils peuvent alors exprimer leurs émotions spontanément, les autres réagissant instantanément, comme un troupeau de gnous change subitement de direction dans la savane, sans qu’on sache très bien lequel a initié ce mouvement. De temps en temps, je regarde mes amis : On dirait des enfants regardant pour la première fois un Walt Disney.
Poun notamment aura passé le concert bouche bée, un sourire aux lèvres, émerveillé. Plus technicien, Pierrot semble analyser le jeu des guitaristes afin de se l’approprier et tirer des enseignements qui nous seront utiles pour nos répètes. J’avais de l’inquiétude concernant les filles. Mais elles paraissent conquises. Elles ondulent, manifestent, accompagnent, applaudissent. Leurs yeux brillent de l’émotion qui se dégage de cette soirée. A coté un groupe important connaît les chansons par cœur. Ils appuient les refrains de leurs bras brandis et de leur voix. Ici ou là un pogo spontané s’instaure, les corps sautent et se bousculent. Parfitt les interpelle, joue avec eux, et c’est un véritable échange qui s’installe dans la salle.
Vers les deux tiers du spectacle, les musiciens se retirent en coulisse pour se désaltérer et soulager des prostates malmenées. Le batteur en profite pour dérouler un solo époustouflant. Le jeu de lumière accompagne ses scansions et rythme les phrases de percussions, donnant l’impression d’un spectacle pyrotechnique. Les pressions générées par les caisses sont tellement fortes qu’elles sont autant de coups de boutoir que nous prenons en plein ventre. Nous sommes balayés par une onde puissante qui nous laisse pantelants et émerveillés. Je me prends à imaginer que ce sont autant de souffles d’explosions qui assaillent nos muscles, nos viscères et nos sens. A ce stade il n’est plus temps de rationaliser quoi que ce soit. Il s’agit d’émotions pures, qui balaient toute raison, toute réflexion. Même le sens esthétique se met en veilleuse. Ne reste qu’un plaisir sauvage, celui des tribus dés débuts de l’Homme, autour du feu, quand les corps luisants de sueur se mêlaient frénétiquement, habités par quelque esprit chamanique avant que la folie sexuelle ne les emporte dans une nuit torride. Un temps, j’ai la tentation d’étreindre ma voisine (Lolo) mais il me reste encore assez de self-contrôle pour renoncer.
Parfitt s’approche de nous, se penche. Mu par l’instinct, je lance vers lui mes deux bras, doigts tendus, je hurle. Il me regarde, nos yeux se croisent. Les siens sont malicieux. Il me fait signe qu’il veut que je lui donne mon manteau de cuir, que j’ai passé sur mon Tshirt des UFR. Je ris, béatement, fais mine de l’ôter. Puis il s’éloigne. Déjà l’attire Alice, qui s’est débarrassée de son pull. Il fait une chaleur moite : La chaleur des corps, les odeurs des corps que ne masque plus celle des cigarettes, désormais interdites. Alice porte un petit haut blanc à fines bretelles, elle ondule au rythme du couple bass/batt. Elle apprécie ; son corps se fait liane, ses sens en émoi, sa poitrine se soulève et tire l’œil du bassiste qui s’approche et lui sourit. C’est une messe païenne, ils en sont les officiants, nous en sommes les fidèles. En guise d’Ostie, au terme de leurs solos, les guitaristes lancent à la foule leur médiator : prenez, ceci est ma sueur, donnée pour vous en permission des péchés.
Cela fait presque deux heures qu’ils jouent. Ils ont interprété Whatever. J’ai chanté à pleins poumons. Et maintenant ils sortent de scène. C’est fini. Pas tout à fait : on les réclame, on les acclame, on invective, ça siffle, ca chante, ca tape des pieds derrière, sur les gradins des nantis assis.
Ils reviennent. Une ovation gronde et enfle. Exultation et joie, assouvissement, partage, plaisir immédiat. Deux derniers titres, des reprises, des standards du Rock N’Roll. Et puis comme la marée se retire et abandonne sur la plage les coquillages épars, les musiciens disparaissent rapidement derrière les rideaux. On attend encore. Quelques rappels. Lentement c’est le retour à la réalité. Un peu désemparés par le silence soudain, et le calme étrange qui s’installe, on quitte à contre cœur la fosse, sans se presser, dans le recueillement.
Alors que nous passons les lourdes doubles portes métalliques et allumons la cigarette qui va accompagner l’échange de nos premières impressions, un bus s’éloigne déjà et passe l’entrée monumentale du parking. Le prochain concert est à Nice. Ils y seront dans la nuit tandis que dans la salle désertée, les machinos démontent le matos.
The show must go on.
dimanche 23 novembre 2008
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6 commentaires:
en te lisant,on a presque l'impression d'assister une deuxieme fois au concert,tout y est sauf le son bien sur,et c'est vrai que pour les SQ le son ça compte beaucoup....
p.....quelle gifle on s'est pris quand meme!
juste un detail,mitch,mais je pense que ton erreur est du a l'emotion du moment:C'est rossi le guitariste solo maigroulet ,et parfit le rondouillard
poun
Poun, je te remercie pour ton appreciation. c'est vrai qu'on s'est pris une sacrée giffle. Et je me demandais si tu t'étais bien remis de la tienne.. Parfit c'est bien le rondouillard, c'est ça ? et Rossi le maigre ? Enfin c'est ce qu'il me semble...
ouaip ,tout juste
c'est moi qui ait mal lu ton commentaire mitch ,en vrai c'etait parfait ,comme hier soir
poun
(c'est quand même bien parfois d'être le maître des clés et de pouvoir modifier le texte quand on veut.. tu devrais essayer Poun, c'est magique)
enfoiré de salopart !
il me semblait bien que dans ta premiere mouture ,y avait un leger bug
kéké a raison ,tu es ignoble mitch
en lisant ce recit je m'y suis crut y'en a qui en on de la chance ;)
nico
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