Le Philou est un poète. Alors que nous roulions sur l’autoroute aux alentours de Montpellier, regardant une zone industrielle proche, il se fit lyrique en théorisant sur la vie des grues de chantier. Les mâles rouge et blanc et leur flèche glorieuse, les femelles jaunes arborant une balise clignotante, comme une invite discrète mais pressante. A l’instar des troupeaux d’éléphants il développa une organisation sociale complexe, des périodes de rut, des compétitions entre mâles pour la conquête des femelles, l’élevage des petits, la mise à l’écart des vieux mâles et leur départ pour le mystérieux cimetière des grues.
Ce délire onirique nous tint jusqu’à Castelnaudary où nous sortîmes afin de préparer la nourriture du corps après avoir satisfait à celle de l’esprit. Dans un hôtel du centre ville recommandé par nos amis Coco et Daniel, nous achetâmes un bocal de foie gras et deux kilos de cassoulet pour le soir.
Le temps médiocre nous ouvrit tout de même une fenêtre afin de nous restaurer de remarquables sandwiches au foie gras. Comme l’a dit quelqu’un bien avant moi, le trajet fait partie du voyage. Il est important de ne pas négliger cette période de transit et de se l’approprier dans les meilleures conditions de confort. Un sandwich d’accord, mais pas un de ces pitoyable en-cas d’autoroute, tristement présenté sous blister plastique, taillé à l’anglo-saxonne en triangles, mou et déjà blette avant que d’avoir été acheté, puis enregistrés à la caisse par quelque chafouine et mal aimable serveuse. Le sandwich doit être roboratif, confectionné à façon sur le lieu de repos, découpé dans des pains croustillants au moyen d’un laguiole et consommé convivialement tout en contemplant la campagne alentours. Jadis on l’accompagnait modérément d’un verre de vin local. Désormais la tempérance est de rigueur, tout au plus l’au pétillante peut-elle rincer de ses bulles le palais afin d’apporter une note ludique à l’agape autoroutière.
Simone notre incarnation du tomtom nous avait prédit 6h de route, il nous en fallut 7 et demi pour rallier notre port d’attache saintongeais : La Foucherie.
Le lieu était tel qu’à l’habitude. Paisible, immuable, comme une île de pierre posée sur un océan de champs fraîchement ensemencés et déjà verdoyants de la prochaine moisson. Nous prîmes nos quartiers, laissant à la demeure le temps de se réchauffer au feu joyeux que nous avions allumé dans la cheminée de la salle commune.
Le séjour à Saintes est désormais rodé, rythmé par les visites aux cousins et voisines, aux descentes sur la ville pour les courses dans l’un des trois marchés disponibles et à la fréquentation occasionnelles du bar du Douhet où l’on nous réserve toujours le meilleur accueil, le patron n’hésitant jamais à payer sa tournée. On emprunte en général le chemin de Compostelle qui traverse le village, ce qui apporte sa caution mystique au séjour. Le plus souvent le temps est conforme à ce que nous attendons, à savoir pluvieux et doux quelle que soit la saison. Notre attente en ce sens fut comblée : seules quelques rares éclaircies vinrent éclairer nos diverses pérégrinations dans la région de leurs incongrues apparitions.
Le samedi fut consacré à une incursion en pays rochelais : Laurence avait commandé sur Ebay un fauteuil qu’elle avait laissé en dépôt chez les propriétaires en prévision de notre venue. Grâce à Simone, nous n’eûmes aucune difficulté à trouver l’adresse. Nous pliâmes l’affaire en 10 minutes chrono, réduisant les civilités au minimum syndical. La propriétaire n’était pas d’humeur à s’étendre, nous précisant tout de même que le fauteuil appartenait au grand-père et qu’elle avait lavé les coussins. Nous extrapolâmes dans la voiture les raisons de cette vente. Le grand-père vraisemblablement était décédé quelques mois auparavant, c’était entendu, mais les circonstances du décès restaient inconnues, qui furent l’objet de nos supputations : était-il mort sur le fauteuil ? et si oui, combien de temps avait-il séjourné sur celui-ci avant qu’on le découvre ? Cela nous occupa tout le temps du parcours jusqu’au centre-ville. Le reste de l’après midi fut consacré à la visite de la cité, dont l’architecture est admirable. Les femmes s’intéressèrent plus particulièrement à l’offre commerciale du lieu, mettant un point d’honneur à honorer de leur présence chacune des boutiques de vêtements des principales rues commerçantes.
Le départ du Vendée Globe était tiré le lendemain, aux Sables d’Olonne. Les femmes préférant entretenir le feu nous donnèrent mission d’assister à cet événement exceptionnel. Celui-ci a lieu tous les quatre ans ; sa première édition date de 1989. Treize concurrents avaient alors pris le départ. Trente s’alignaient ce dimanche sur les darses de Port Olona ; la plupart avaient déjà emprunté le chenal lorsque nous arrivâmes, Philou et moi sur les lieux. Juste à temps pour regarder manœuvrer puis s’éloigner le 60 pieds de Mich’Dej’ (Michel Desjoyaux) le skipper de Foncia. Moment intense et émouvant pour le président de Foncia Métropole. Je regardai Philou, seul sur un ponton, saluer Michel. Je sentis l’émotion le gagner, tandis que son héraut s’activait sur le pont du monocoque. Il se tourna vers moi, grave, les yeux embués, la voix incertaine. « Ca c’est fait ! » commenta-t-il sobrement. Les hommes ont cette pudeur. Il essuya l’un de ses yeux, et renifla deux fois, puis remonta vers le quai alors que Desjoyaux se fondait dans la perspective lointaine du port. « je suis content » conclut Philippe.
Sur les conseils d’une autochtone, nous poussâmes jusqu’à Talmont Saint Hilaire, puis sur la plage de La Jarde afin d’observer à l’horizon le lent balais des immense voiles de ces coléoptères des mers. Le temps n’était pas propice à cet exercice. Des bourrasques de vent poussaient les nuages bas sur une mer houleuse aux couleurs venimeuses qui cachait périodiquement les mats des voiliers. La visibilité était encore diminuée par les grains et brumes locales. Nous contemplâmes le spectacles tout en dévorant un maigre sandwich puis regagnâmes le havre sécurisé de notre fidèle Kangoo dont la pilote électronique, notre chère Simone, entreprit de nous ramener à bon port.
Est-il nécessaire de commenter le reste du séjour, tant il se révéla conforme au protocole établi il y a déjà fort longtemps ? On consomma les produits du terroir et de l’océan dont la saveur, la fraîcheur, et le coût modique en regard des tarifs inconvenants pratiqués chez nous contribuent à l’attrait du lieu. On visita les uns et les autres, sacrifiant, plusieurs fois, au rituel du pineau. Odile acheta le pain sous flamme à Taillebourg. Lolo commanda 20 kilos de miel pour Nanette. Philou, en communion avec la nature m’expliqua le repas des étourneaux, les plumes bleus qui indiquent les moineaux males, la fourberie des merles, la puissance du héron cendré, la beauté du vol lourd de la buse. Nous jetâmes des pierres dans le puits du village afin d’en évaluer, à l’écho, la profondeur. Certains d’entre nous promenèrent dans les bois environnants tandis que d’autres faisaient la sieste. Les nuages et les ondées lessivèrent à leur tour les ruelles du village, séchées en parties par des éclaircies projetant sur les paysages des lumières obliques et chaudes, et fugitives.
On aurait pu évoquer la douceur Angevine si elle n’avait été Saintongeaise, en tout cas nous nous laissâmes aller à une douceur de vivre bien agréable dans ce monde impitoyable et sauvage qui est le notre.
jeudi 13 novembre 2008
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3 commentaires:
t'es un vrai pouète, Mitch, tu me fais pleurer, simplement en racontant les choses... souvent !
kéké
Kéké, juste un moment je serai sérieux. Si j'écris ici, c'est parce que je me suis pris au jeu. J'adore ça. C'est incroyablement bon d'écrire. De traduire en mots ce qu'on voit, vit, et ce qu'on ressent. Et tu es à l'origine de ça. Avec tes idées à la con de me faire chroniquer la vie du groupe. Donc merci de me lire. Parce que écrire pour soi c'est définitivement pas drôle. J'imagine que prendre un super cliché, dans des conditions optimales d'éclairage et de composition, et le travailler pour en faire un oeuvre personnelle, puis l'offrir au regard des autres doit procurer les mêmes sensations.
Et chanter, même commme un merle qui voudrait se prendre pour un ménate, parmi les vrais musiciens, traquer cet instant magique où on sent qu'on tutoie quelque chose d'indicible dans cette communion payennne des émotions, ressentir la plénitude, celle qui comble le vide et l'inanité de l'existence dans ces moments particulier d'accord parfait que seul l'unisson des notes procure, c'est ce que les rockers des années 70 nommaient "le grand panard d'acier bleuté".
Fin de la parenthèse, reprenons le cours normal de nos émissions et le contrôle de nos émotions.
.....ouais......chanter....
Faudrait p'tetre commencer par ztre moins souvent absent aux repets si on aime chanter!
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