J’avais une certaine appréhension en arrivant à la SJM ce mercredi. Notre dernière répète avait été catastrophique sur de nombreux plans, le rendu sonore n’ayant pas été le moindre, et un rapide sondage m’avait appris que d’autres membres du groupe étaient dans le même état d’esprit. J’avais presque été soulagé lorsque la répète suivante avait été annulée, d’autant que dans l’intervalle Pierrot avait composé et que j’avais écrit deux textes, tandis que de son côté Poun était sur le point de lâcher plusieurs bombes textuelles, ce qui me donnait le sentiment qu’enfin nous avancions et que la malédiction pouvait être vaincue.
Solex, le tout nouvel opus des UFR me semblait prometteur, en tous cas les personnes (dont certaines jeunes !) à qui je l’avais fait écouter lui avaient réservé un excellent accueil. C’est donc dans un état d’esprit bipolaire que je me présentai, sous les joyeuses léchouilles pubiennes des canidés domestiques : impatient de travailler Solex, et inquiet quant au reste.
C’est ce dernier sentiment qui hélas s’amplifia lorsque nous nous retrouvâmes dans la salle de répète.
Parlons un peu technique : Pour produire du son, désormais tout le monde se branche sur l’ampli de scène. Il y a 6 entrées mais quatre seulement sont réellement efficaces, les autres sont des entrées ligne dont la sensibilité est inadaptée à nos appareils. Entre les amplis et les micros qui transitent sur cette table, ce sont 7 à 8 prises qu’il faut caser. On peut brancher deux prises par entrée, mais cela atténue le son de chaque instrument ou micro, et en plus quand on en modifie un, on modifie les deux ! Autant dire que c’est un peu la foire d’empoigne et que ça fonctionne sur le principe du « premier arrivé-premier servi ».
Si le chanteur n’y prend pas garde il se retrouve sur la dernière entrée, le potard à fond et un filet de son qui suinte péniblement de celle-ci, comme quand je prends une douche pendant qu’Odile fait couler son bain, vous voyez le topo : tout soudain, au sommet de la félicité, la chaude ondée tropicale qui massait énergiquement mon épiderme se transforme en ruisselets mollasses et tièdes le long de mon échine, alors que ma moitié hulule joyeusement la Traviata en s’amusant avec son canard au milieu de la mousse parfumée aux essences de Guerlain. L’eau chaude passe par la baignoire avant d’atteindre la douche.
L’impossibilité de trouver un câble adapté pour ma pédale d’effets acheva de me mettre le bourdon. Je démontai le dispositif et branchai un micro en parallèle avec un instrument avec la certitude que ma voix serait pourrie. Mentalement je dictai à ma mémoire : « Agenda du chanteur, répète numéro 250, année 6, coordonnées espace/temps 6,55957. Note prioritaire à moi-même : la prochaine fois, penser à remettre en service la table de mixage de Poun pour les micros. Ca ne peut plus durer comme ça. Fin de message. Euh… ah oui et au fait, pendant que j’y pense, putaindemerdefaitchierpleinleculetoutçaetj’enbiiiipetoutescesprisescasseburnesetlesingénieurscoréensquiontconçucettebiiiiipeainsiqueleurdescendancejusqu’àladouzièmegénération. Fin, je dis bien fin de message, à vous les tripes, over ! »
Il faut aussi signaler que l’installation de tout le monde, et c’est normal, donne lieu a beaucoup de confusion, dans un espace somme toute réduit, surtout lorsqu’un musicien supplémentaire (invité permanent il est vrai) participe à la répète. Et encore nous n’avions pas fait le plein puisque Le Sax Symbol, Jean Paul qui était attendu tardivement pour des raisons professionnelles jeta finalement l’éponge.
Bref : l’ambiance genre hall de gare, mais sans les trains. On s’invective, on rit, on installe, on teste les instruments, on modifie les réglages, on sert des verres de cocas qui passent périlleusement de mains en mains, les bouteilles instables menacent de tomber, on fouille dans les sacs, on se prend les pieds dans les câbles, les manches de guitare fouettent l’espace à quelques millimètre de cranes dénudés, on accorde, la batterie roule, le piano fait ses gammes, on suçote les saxo, on souffle dans les harmonicas, on improvise quelques mesures de Led Zep, quelques secondes de Take Five, on se raconte les derniers potins en allumant des clopes et en renversant du coca sur les partoches, tandis qu’en même temps le Leader me demande de choisir le premier morceau, lequel est refusé par le Barde, le tout dans un ballet complexe d’éléphants dans une galerie d’art Ming. Les corps vont et viennent en se frôlant, en frôlant les praticables, en frôlant la catastrophe à chaque instant.
Il se trouve enfin qu’à la différence des autres instruments, la voix doit être chauffée avant d’atteindre sa pleine efficacité. En tout cas la mienne ! Je suis né en 57, les balbutiements du transistor, mais j’ai le sentiment que mon câblage interne se calque à peu près sur celui d’un ampli à lampes –rustique et fragile- : faut laisser chauffer ! Par conséquent pour éviter de me griller d’emblée les cordes vocales sur le premier morceau, je chante sans forcer, et dans le registre des graves (les graves de la gamme, pas ceux des terroirs bordelais). Dans cette configuration « en mode dégradé », comme on dit dans le milieu managérial, j’ai remarqué que souvent les guitares jouent dans la même plage de fréquence que moi, et il se passe alors un phénomène surprenant : les guitares me « mangent mon son » comme si leurs accords avaient l’effet d’un défoliant sur mon chant.
Le KreaX était présent sur Nîmes, car il avait rejoint les R. et Les F. avant le départ du lendemain pour un week-end prolongé à Séville, dans un hôtel du quartier de la Macarena, au nord-est de la ville. Il s’installa derrière le Bontempi de Lololalolo pour des accompagnements à quatre mains, puis squatta la guitare du Leader pour des impros sur nos morceaux. J’étais bougon. J’entamai mezzo voce Hit The Road, sur un rythme effréné du Barde. Je n’eu même pas le temps de déplorer de ne pas m’entendre que c’était déjà fini ! On embraya avec la même vélocité sur Docteur Bonheur, Bête de Scène, puis la Fille du Père-Noël. Il y eut une pause pour régler la balance et monter mon son et on poursuivit par Sweet Home Alabama. Un peu essoufflés peut-être, nous nous attardâmes sur ce dernier qui bénéficia de plus de retenu dans le tempo. On fut même un poil lent, comme le fit remarquer notre pianiste. Je n’ai pas pris de chrono, mais en effet on devait être un peu en dessous des 120 bpm (ce qui est ridiculement lent pour les UFR, qui tournent en général à 140-150).
Comme à chaque fois, je constatai l’effet apaisant de la musique sur mon état d’esprit qui tel ces petits sujets de plâtre coloré à l’effigie de la vierge Marie qui virent du bleu au rose en fonction du temps, se teinta de couleurs plus pastel. Les morceaux n’étaient pas parfaits, mais le son me parut meilleurs que les fois précédentes, tandis qu’un dernier réglage donnait plus de présence et de chaleur à ma voix.
On poursuivit par Whatever You Want, Chuppa Chups, Le Cochon, Jumping Jack Flash et enfin I Feel Good. Cette deuxième partie fut plutôt gratifiante. Je pus descendre dans les aigus, avec précautions toutefois pour préserver un rien de justesse. P. nous fit quelques beaux solos de sax. Je me sentais mieux, lâchant ma voix enfin, et surtout prenant du plaisir notamment sur le James Brown dont l’interprétation confirma notre maîtrise de ce morceau malgré le fait que nous l’ayons laissé en plan pendant plusieurs semaines. En guise de clin d’œil, nous reprîmes le célébrissime Tip Top La Moumou que nous avait offert le KreaX il y a quelques mois, la complexité du texte ne rebutant aucun des musiciens, Le Barde venant même pousser la voix devant mon micro. Nous retrouvions nos sensations, le plaisir de jouer ensemble, c’était bon : fin de la période Down Down : prêts pour Get Up !
C’est un quart d’heure avant la fin que le Carré s’enquit du dernier opus du Leader : Solex. C’est un morceau ludique, acidulé comme un bonbon des années soixante, un parfum d’Hollywood chewing-gum aux fruits, flirtant avec le rock’n roll des origines, coté Fonzie les Jours Heureux, mais en solex style front populaire, avec sur le porte bagage la Laetitia Casta de la Bicyclette Bleue, et quelques touches de piano (sans bretelles). Comme souvent les premières fois, la chance sourit aux audacieux et l’interprétation fut intéressante, en tous cas j’eu plaisir à me mettre en bouche le refrain : « Solex Drugs And Rock’N Roll dans mon équipée sauvage j’ai l’temps de voir le paysage », et cette phrase « j’aime pas les filles en pleurs j’préfère les filles en jean » qui deviendront j’en suis certain des répliques cultes de nos concerts..
Comme beaucoup d’entre nous faisaient le pont de l’ascension, nous fûmes un peu plus coulant avec l’horaire, le temps de savourer encore Solex, mais nous rendîmes la salle vers 23h15 après avoir souhaité bon séjour sévillan à notre section rythmique, charge pour elle de faire le plein d’ambiances et de nous les restituer à son retour.
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