Quand je suis arrivé à sept heures au
Flaherty’s, tout le matos, à part la batterie, était déjà installé. Cela grâce
au dévouement de Christian Pascou et Pierrot, qui avait effectué l’opération
dans l’après-midi. Il n’y avait personne encore, et j’ai pu installer mon micro
et ma pédale sur le dernier connecteur libre. J’ai fait quelques essais voix,
le temps qu’arrivent petit à petit le Barde, le bassiste, le batteur, avec
lesquels nous avons effectués des modifications dans l’agencement des
différents postes pour caser la batterie, avant que le Leader nous rejoigne.
Nous avons fait quelques essais de balance sous le regard de Hervé Hours, le
patron du pub.
C’était la première fois qu’un propriétaire de
bar nous exhortait à monter notre son ! Nous n’avons pas l’habitude qu’on
nous supplie de faire du bruit !
En attendant le Sax, nous sommes montés à
l’étage, dans la grande salle de billard, nimbée d’un éclairage vert très cosy.
Une table avait été installée dans un des angles, nous y avons pris place. Le
serveur nous a apporté des assiettes de bœuf à la Guinness accompagné de frites
tandis-que Jean-Paul nous a rejoint. Nous avons mangé avec apétit ce plat
éminemment roboratif en buvant quelques verres de rouge. Pas trop de tension
durant ce repas qui nous a doucettement amené, après le dessert, vers les 21h.
Nous sommes redescendus au pub où le monde commençait à affluer. Près de l’emplacement
dévolu à la « scène » des gens mangeaient, au bar ça buvait bien.
Hervé nous signala qu’il y avait match de rugby ce soir là, et que des habitués
venaient chaque vendredi pour l’occasion. Par conséquent la télé serait allumée
durant le concert mais « le son serait coupé » ! (ouf ! j'avais eu un petit doute fugace) Curieux, je
recherchai l’écran dans la salle.. je le trouvai finalement : pile poil
derrière la scène - derrière nous ! Excellent, me di-je, ainsi au moins les
amateurs de rugby nous regarderont !
Questionné sur l’heure de début du concert,
Hervé nous indiqua qu’il était prévu pour 22H, afin de laisser aux client le
temps de manger tranquillement. Ca nous laissait une petite demi heure de
récré, nous rejoignîmes les amis fumeurs dehors.
J’en profitai pour briefer mes collègues musiciens qui
m’avaient demandé de parler afin de meubler entre deux morceaux : « J’ai
trouvé un truc pour introduire le groupe : je vais leur réciter le
début de « la supplique pour être
enterré à la plage de Sète » de Brassens, comme ça j’embrayerai sur les
fossoyeurs et tout ça, et ça sera super drôle ha ! ha ! « Ouaiiiiis, super idée ! me répondirent-ils en cœur.
22h pétante : nous
« montâmes » sur scène. Nous
enjambâmes et tentâmes plutôt d’éviter la forêt de trucs et de machins qui
délimitaient notre espace. Genre David Crockett à Fort Alamo. Chacun prit sa place. Comme à l’accoutumée je
regardai à droite et à gauche, puis vers
le public le temps que chacun fasse ses derniers échauffements. Je repassai
dans ma tête le texte de Brassens, m’apprêtant déjà à débiter ma litanie, quand
tout soudain, j’entendis les premières mesures de « Sweet Home
Chicago », je pensai tout d‘abord qu’il s’agissait d’un petit tour pour
rien de la part de notre Leader et je le regardai, interloqué pendant qu’il
déroulait son thème, comme on voit le train quitter à regret le quai, et
prendre inexorablement de la vitesse, je compris que j’avais intérêt à monter
dare-dare dedans car il était en train de partir sans moi !
Et c’est comme
ça qu’a commencé notre concert, dans une panique indescriptible du chanteur médusé, sidéré, tétanisé, tentant de repérer l’accord qui lui permettrait de raccrocher le wagon de queue
et d’émettre enfin son premier son !
Par chance, le public avait envie de prendre
du bon temps, et l’assistance se fit rapidement attentive à nos titres, à nos
rythmes. Au bout de deux morceaux je compris qu’on les avait ferrés, et qu’il
ne restait plus qu’à mouliner calmement pour ne pas décrocher l’hameçon ! Et
je crois que je me suis révélé un bon pécheur, même si parfois le fil s’est un
peu pris dans les rochers et qu’on n’a pas été trop de six pour le démêler sans
perdre le poisson le fil et la canne !
C’était passionnant de suivre les
enthousiasmes du public pour tel ou tel titre, l’intérêt plus poli pour
certains autres. Et angoissant aussi. On se dit "ouh là, ça applaudit moins, qu'est ce que je peux faire pour ne pas qu'ils partent ? Je passai, je ne sais pourquoi, -sans doute un reste de la nervosité
due à mon entame manquée- la plus grande partie des 10 premiers titres avec une
main dans la poche, comme si je me prenais pour Djamel Debouz. Au niveau de la
voix j’y étais, je me sentais bien dedans, confiant, à tel point que je
regardai peu mon cahier moi qui me raccroche à lui comme un gamin à son doudou,
en temps normal. Mais le corps, un peu coincé dans le demi mètre carré qui
m’était alloué (comme d’ailleurs à chacun d’entre nous), avait du mal à trouver
ses marques, à « lâcher prise » et se laisser aller aux émotions. Je
restai donc plutôt statique, même si je fis une ou deux excursions en
territoire ennemi, enjambant les fortifications, parmi les clients, tentant de faire chanter l’un ou l’autre
sur le refrain de « Knock On Wood » notamment. Au fil des chansons,
je repérai un visage dont je croisai le regard amical, mais je suivais
particulièrement un type juste en face qui me fixait de manière intense, les
mouvements de son corps semblant se synchroniser au contretemps des miens.
Titre après titre, je le voyais me fixer avec une égale fidélité. J’en conçus
une certaine fierté, d’accaparer à ce point son attention.. Puis, en me
retournant vers le batteur, je repérai derrière lui, le fameux écran télé
retransmettant le match Perpignan Toulon, et je réalisai soudain qu’en fait
c’était le rugby qu’il tentait de suivre, et que pour cela il essayait de me
traverser du regard. En fait je le gênais un peu !
La première partie dura 45 mn, nous avions
interprété 10 titres, et en délayant un peu avec quatre conneries entre deux morceaux,
le temps de laisser souffler les musiciens, on avait rempli la première partie
du contrat et gagné le droit de s’oxygéner un peu, de récupérer, de respirer
l’air du temps, et de boire une bière (et des mélanges bizarres à base de bière) avec les amis. Les gens étaient contents,
enthousiastes même. Notamment une certaine coterie qui avait pris fait et cause pour Jean-Paul et ses solos inspirés.
Pour une fois je crus à la sincérité de nos admirateurs car
j’avais moi-même pris du plaisir à notre prestation que j’avais trouvée plutôt
réussie au regard des réactions du public. On n’avait pas été « le groupe-qui-joue-pendant-qu’on-mange-entre-copains », on avait capté leur
attention, et pas seulement celle, acquise, de l’auditoire captif que constitue les proches et amis. Il y avait des gens
normaux aussi, et ils avaient aimé.
Eric A. me fit le reproche de cette fameuse « main
dans la poche » qui avait entaché ma silhouette d'un désagréable déséquilibre et amputé de plusieurs degrés de liberté sa légendaire mobilité. Il m’admonesta sévèrement afin que je libère mon bras et lâche
enfin les chevaux !
La seconde partie débuta à 23h03 pétante (2303
comme disent les militaires), et pour le coup je ne me fis pas
surprendre : je démarrai en même temps que Pierrot ! Il est vrai que
cette fois-ci je le reluquais du coin de l’œil tout en surveillant les
autres : ces lascars étaient capables de tout ! Nous débutâmes avec Stand By Me, et je me fis une joie, tel un matador brindant son taureau au public en un mouvement circulaire altier, de désigner chacune des spectatrice et de lancer le désormais célèbre "cette chanson, je la chante pour toi".
Sur cette deuxième partie,
étonnamment, à la différence de beaucoup de nos concerts précédents où nous avons tendance à nous déliter au fil des titres, nous fûmes
plutôt meilleurs que pour la première partie. En tout cas MOI je le fus, (les
autres n’auront qu’à se déterminer par rapport à cette affirmation) je me
livrai plus, ma voix était souple, elle ne forçait pas, je me sentais bien, et
je me mis à bouger à l’unisson de nos titres, au plaisir manifeste de notre
public.
Un détail qui me fit penser que les gens ne
s’ennuyaient pas : je ne vis quasiment personne sortir ou se déplacer durant
les deux heures du concert (à part le serveur qui n’arrêtait pas d’abreuver
tout ce monde). On les avait fixés ! Et l’entracte n’avait provoqué aucune
hémorragie, comme ça nous était arrivé au Callejon.
Nous terminâmes sous les vivats ! Et un
rappel fut demandé. C’est au moment de reprendre le micro pour remercier la
salle que je m’aperçus qu’il avait rendu l’âme. Et je me dis :
« putain j’ai tout donné, même le micro n’en peut plus ! C’est avec
le micro de Jean-Paul que je dus chanter sur le rappel. J’aime bien cette
dernière péripétie du concert. Cela traduit le paroxysme d’émotion que j’ai
atteint ce vendredi, et le sentiment de plénitude que j’ai ressenti, de
sérénité, et la certitude absolue que le contrat avait été largement honoré. On
avait fait un bon concert. Ils en avaient eu pour leur argent. Pas
d’arnaque : du pur, du vrai, de l’authentique musique, produite à
l’honnête sueur de nos fronts.
Le reste rentre dans la liturgie de l’après
concert : léger déphasage, retour sur terre, verres bus entre amis, re-faisage de monde, félicitations
et congratulations, accolades, yeux humides, rouge au front, regrets exprimés
face à notre rareté, promesses de remettre ça le plus rapidement possible.
Hervé, avec qui, après avoir remballé le matériel, nous avons passé la dernière
demi-heure autour de quelques verres généreusement renouvelés nous exprima sa satisfaction, et
nous pria de ne pas hésiter de le contacter pour un prochain passage. Je crois
que pour lui aussi, la soirée ne fut pas perdue.
On est passé au Flaherty’s ! Et ça s’est
bien passé ! On pourra minimiser l’exploit de toutes les manières
possibles afin de rabattre notre fierté et nous contraindre à l’humilité… Mais
putain à un moment, il faut tout de même convenir que… ON L’A FAIT ! Et on
n’a pas été ridicule. Et j’emmerde les pisse froid qui voudraient me convaincre
du contraire.